LENSKY, Danilas
Né en 1979 en République Sakha dans le nord-est de la Russie, Danilas Lensky travaille depuis ses quinze ans à la radio STV de Yakutsk et partage aujourd’hui sa vie entre ses émissions de radio et la littérature.Pour cet auteur, dont le style s’apparente au nouveau roman, ce qui compte avant tout dans le processus d’écriture, ce sont les sentiments, le vécu des héros, et les émotions que fait naître le texte chez le lecteur (prés. éditeur)
Rencontre avec l'auteur en période de confinement à l'automne 2020... évocation de cette étrange période et de son écriture, à propos de son roman "Radio-Nord" édité chez Boréalia et traduit par A. Hugonnot...
A propos de "Radio-Nord" : proposé par chine-des-enfants car de jeunes lecteurs (ados, lycéens) peuvent aussi l'apprécier. Un récit plein de fraîcheur, d'émotions, dynamique ; un instantané de la société russe mais qui, comme le souligne l'auteur n'est pas un roman yakoute ; pourtant, le travail de la traductrice est ici important, pour avoir su rendre en français, le rythme, le sens argotique et jeune, l "accent" local.
A lire aussi, les échanges avec Arthur Hugonnot, traductrice de "Radio-Nord"
Traduction du russe par Emilie MAJ
– Cette année le monde a ralenti, s’est fermé. Est-ce que cela a changé vos habitudes, votre vie quotidienne ?
Grâce à mon travail à la radio, qui m’oblige à venir au studio, je n’ai pas été contraint à m’isoler. Et heureusement ! Je n’arrive pas à me représenter comment les gens ont pu rester confinés chez eux. Je serais sans doute devenu fou. Chaque jour de cette pandémie, j’ai fait mon travail de présentateur radio. J’amusais les auditeurs en leur disant : « Les amis, tout ne va pas si mal. Le principal c’est de moins paniquer et qu’il y ait plus d’émotions positives et de chansons ». J’essaye d’écouter mon propre conseil. J’ai été sauvé par la musique et les livres.
– Благодаря работе на радио, которая обязывает приходить на студию, самоизоляция у меня не получилась. И слава богу! Как люди безвылазно сидели дома? Не представляю. Я бы, наверное, сошел с ума. Все эти пандемические дни я вел эфир, подбадривал радиослушателей словами: друзья, все не так плохо, главное – меньше паники, больше позитивных эмоций и песен. Стараюсь прислушиваться к своему же совету. Музыка и книги – мои спасители!
– Comment percevez-vous, perçoit-on cette crise mondiale dans votre ville ?
Je n’arrive pas à me faire à l’idée que dans le monde entier est en train de vivre une situation unique, absurde et qui se prolonge, une situation qui à mes yeux a des allures de guerre. Le virus est donc une arme. Et même une arme très puissante. Il y a quelques jours, je suis rentré de Saint Pétersbourg, où j’étais voir ma sœur. Lorsqu’elle est venue me chercher, elle m’a dit que notre mère venait d’avoir un infarctus et avait été emmenée à l’hôpital. Et c’est justement là, à l’hôpital, qu’elle a attrapé le coronavirus. Durant tout le mois que j’ai passé à Saint Pétersbourg, je n’ai pas pu la voir. Dans les hôpitaux de Yakoutsk, l’afflux de malades est croissant. Les tests sont très lents. Si le virus est une arme, est-ce qu’un homme faible a les moyens de se battre ? À présent, on n’autorise même plus les gens âgés à rentrer dans les cliniques et les médecins refusent de venir à la maison. Ma mère a 75 ans. Je ne pense qu’à une chose : qu’elle rentre le plus rapidement à la maison.
– В голове не укладывается, что во всем мире сложилась такая нелепая и затяжная ситуация, которая в моем понимании имеет обличие войны. Получается, что вирус – это оружие. И очень мощное. На днях я вернулся из Питера, меня встретила сестра и сказала, что маму с инфарктом сердца увезли в больницу. И именно там, в больнице, мама заразилась еще и коронавирусом! Прошел уже месяц, маму с приезда так и не видел. В больницах Якутска очень большой наплыв заболевших, их количество с каждым днем только растет, анализы делают очень медленно. И если вирус – это оружие, может ли с ним бороться слабый человек? Пожилых людей сейчас даже в поликлинику не пускают, а врач на дом отказывается приходить. Маме сейчас семьдесят пять лет. Думаю только о том, как бы она поскорее вернулась домой.
- Comment êtes-vous venu à l’écriture?
Vous savez, c’est venu dès le jour où j’ai commencé à former des lettres sur du papier. C’est véridique. J’étais en deuxième classe (l’équivalent du CE1). Je prenais des feuilles vierges, je les cousais pour en faire de tout petits livres. J’inventais des contes et je les notais dedans au feutre. Évidemment, je n’avais pas beaucoup de lecteurs, mais c’est le processus même de création qui me plaisait. J’avais la sensation de n’être pas seulement un écrivain, mais un éditeur. En grandissant, j’ai pratiqué plutôt la poésie. Puis, à l’université, j’ai recommencé à m’intéresser plus sérieusement à la prose. Certains de mes récits ont été édités par des journaux yakoutes. Puis, en quatrième année d’université, j’ai imaginé l’histoire d’un présentateur radio. C’est un thème qui m’est proche, étant donné que j’ai commencé à travailler à la radio à l’âge de 15 ans, alors que j’étais encore un collégien. J’avais envie d’écrire sur quelque chose que je connaissais. Mais au final, ça a donné un roman qui n’était pas vraiment une histoire de radio. Il parle des relations humaines qui font naître des questionnements : l’un aime une personne, un autre déteste une personne. La quête de soi est si compliquée. Pourquoi les hommes ne volent-ils pas comme les oiseaux… Encore une fois, mon histoire ne parle pas de radio. Le héros du roman quitte la radio pour répondre à toutes ces questions.
– Вы знаете, как только научился выводить буквы на бумаге. Правда. Это было во втором классе. Я брал обыкновенные листы, сшивал из них маленькие книжки, придумывал сказки и записывал туда фломастером. Читателей, конечно, было немного, но мне нравился сам творческий процесс. Было ощущение, что я не только писатель, но и издатель. В классах постарше писал больше стихи. В студенчестве серьезно занялся прозой, несколько моих рассказов напечатали наши местные газеты. И где-то на четвертом курсе написал историю про радиоведущего. Эта тема мне очень близка, так как я пришел на радио в пятнадцати лет, будучи школьником. Поэтому хотел написать о том, что знаю. Но в итоге вышла не совсем радиошная история. Получилось больше про человеческие отношения, которые рождают вопросы: кто кого любит, кто кого ненавидит, насколько сложны поиски самого себя, почему люди не летают, как птицы... Повторюсь, эта история не про радио. Тем более, в начале повести главный герой уходит с радиостанции. Как раз за тем, чтобы ответить на все эти вопросы.
- Est-ce facile de se faire entendre loin des grandes métropoles?
Pour être honnête, au départ, je ne voulais pas écrire pour la Yakoutie. Pas du tout. Ce que je veux dire, c’est que je ne voulais pas qu’on mettre mon nom sur la liste des écrivains yakoutes. Ce n’est pas comme ça que je me considère, car mes récits ne se passent pas dans un endroit particulier. La description des lieux n’a aucun rapport avec Yakoutsk. À l’exception de Radio-Nord car là, je me représentais de manière très précise le studio où je travaillais à la fin des années 1990 et les conditions climatiques, comme par exemple ce 1er avril où il était tombé une tonne de neige alors qu’on fêtait la fin de l’hiver. Dans mon premier livre, Flash, sorti en 2011, je cite la ville de Yakoutsk, parce que dans les magasins on mettait toujours une étagère avec les écrivains yakoutes. Je me rendais en personne au magasin et j’allais poser les exemplaires de mon livre à côté de ceux de Chuck Palahniuk. Ca doit vous faire rire, évidemment. Mais mes écrits n’ont rien en commun avec les auteurs yakoutes. Eux, ils écrivent généralement en yakoute et glorifient la terre natale. Je suis très loin de cette thématique « natale », d’autant que je ne parle pas le yakoute. C’est n’est pas grave, j’écris sur ce qui me plaît. Parfois, impressionné par quelque chose que j’ai lu, cela m’inspire pour l’écriture. Pour la sortie de mon livre, on avait réaliséune vidéo de promotion où on disait que le roman était « dans le style de Chuck Palahniuk et de Jérome Salinger ». Ce n’est pas très modeste, mais au moins on comprend de quoi il retourne. La première personne qui a influencé mon travail de création, c’est l’écrivain Andreï Guelassimov. Il est aussi de Yakoutsk. Il a été mon professeur de littérature étrangère à la fac. En tant qu’écrivain débutant, j’ai reçu de sa part des conseils avisés. À présent, Andreï est lu dans le monde entier. Si seulement ça pouvait être mon cas aussi ! Quoi qu’il en soi, je peux me vanter d’avoir vendu mon livre sur un site de vente en ligne moscovite, où il s’est vendu comme des petits pains. Ça m’a obligé à faire envoyer une partie des livres à Moscou. J’ai envoyé un message sur le net : « Eh, qui aurait un peu de place dans sa valise pour apporter mes livres à Moscou ? ». Et là, je reçois une réponse du Maire de Yakoutsk ! J’ai eu le choc de ma vie : le Maire est venu, a pris mes livres et les a apportés à Moscou. Évidemment, c’est génial quand tes livres se vendent dans une grande ville. Je suis vraiment heureux à l’idée que mon livre soit lu à présent par des Français. C’est la langue que j’ai apprise à l’école et à l’université ! C’est presque ma langue natale… même si, c’est vrai, j’ai beaucoup oublié.
– Скажу честно, я изначально не хотел писать для Якутии. Нет, не так. Вернее сказать, я не хотел, чтобы меня записывали в ряды якутских писателей. Я себя таковым не считаю, потому что не привязываю свои рассказы к конкретному месту. Описанные места не имеют никакого отношению к Якутску. Исключение – «радио-Норд» – я четко представлял студию, на которой работал в конце 90-х и еще некоторые погодные условия – например, когда 1 апреля на проводы зимы весь город сильно замело снегом. В моей первой книге «Flash», которая вышла в 2011, указано «г. Якутск», поэтому в магазинах ее постоянно выставляли на одну полку с якутскими писателями. Я лично ходил и переставлял ее на полку рядом с Чаком Палаником. Смешно, конечно. Но мое творчество никак не пересекается с творчеством якутских авторов, которые в основном пишут на якутском и повествуют о родном крае. Я далек от этой «родной» темы, тем более, не знаю якутского языка. Это не катастрофа! Я пишу о том, что мне нравится. Иногда под впечатлением прочитанного. В рекламном видеоролике моей первой книги было указано – «в стиле Чака Паланика и Джерома Сэлинджера». Не скромно, зато понятно. Первый человек, который повлиял на мое творчество – это писатель Андрей Геласимов. Он тоже из Якутска и на нашем факультете преподавал зарубежную литературу. Как начинающий писатель, я получил очень дельные советы. Сейчас Андрея читает весь мир. Мне бы так! Но могу похвастаться – моя книга продавалась в московском Интернет- магазине и там разошлась очень быстро. Потом мне нужно было отвезти еще одну партию книг в Москву, я написал в Интернете – эй, кто может забрать мои книжки? К моему удивлению, отозвался тогдашний мэр Якутска – я был в шоке, сам мэр просто взял и забрал мои книги. Это, безусловно, круто, когда твои книги продаются в большом городе. Очень приятно, что теперь меня прочитают французы. Книга будет на языке, который я учил и в школе, и в университете! Это практически мой второй родной язык, правда, многое уже подзабыл.
- Les problèmes et les rêves des personnages évoqués dans votre roman sont-ils universels ?
Comme je l’ai dit, mes personnages ne sont pas situés dans un endroit particulier. L’histoire que j’ai décrite aurait très bien pu se passer à Yakoutsk, à Paris, et je ne sais où encore. Ce n’est pas important. Il me semble que tous les êtres humains ont les mêmes problèmes et les mêmes rêvije me souviens que, lorsque Andreï Guelassimov a lu Radio-Nord, il m’a proposé : « Tiens, et si ton héros partait pour la France et devenait là-bas un grand présentateur radio ! » Eh ! bien, pourquoi pas ? me suis-je dit ce jour-là. Mais ce n’était pas le thème de mon histoire. Si Bob Toporkov s’était installé en France, je doute fort qu’il aurait rêvé d’autre chose…
– Как я уже сказал, я не привязываю своих персонажей к конкретному месту. Описанная мной история вполне может произойти и в Якутске, и в Париже – неважно где. Мне кажется, у всех людей одинаковые проблемы и мечты похожие. Помню, Андрей Геласимов, когда прочитал начало «Радио-Норд», предложил: «А давай твой главный герой уедет во Францию и станет там крутым радиоведущим!» А почему бы нет? – подумал я. Но история совсем не про то. Переехав во Францию, Боб Топорков вряд ли бы начал мечтать очем другом.
- Quels sont les thèmes que vous aimeriez aborder dans un prochain roman ?
J’aimerais écrire sur l’homosexualité. En Amérique et en Europe, c’est quelque chose de normal. Mais en Russie, c’est un problème. En troisième année d’université, j’ai écrit un essai sur le thème « G.A.Y : aussi bien que toi ». J’avais lu quelque part que « gay » pouvait se lire comme « Good As You », c’est à dire « Aussi bien que toi ». Je voulais exprimer dans cet essai que, du point de vue de la sexualité, il n’y pas de norme. Le professeur de philosophie m’a mis un 5 (la meilleure note selon le style de notation en Russie) mais je me souviens d’un autre professeur, une femme, qui s’est mis à critiquer mon travail après ma présentation : « Devant tout le monde, tu soutiens les homos ! Et si un pervers abuse de mon fils ? Ce n’est pas une norme, mais une forme de perversion ». J’ai dû répondre que son fils devait avoir la tête sur les épaules. Ce sera sans doute le thème de mon prochain roman.
- Я бы затронул тему гомосексуальных отношений. Если в Америке и Европе такие отношения давно являются нормой, в России с этим проблема. На третьем курсе по философии я защищал эссе, которое назвал «G.A.Y.: Ничем не хуже тебя». Где-то прочитал, что слово «gay» расшифровывается, как «good as you», то есть «ничем не хуже тебя». Я хотел донести, что в сексуальном плане не существует такого понятия, как «норма». Пятерку философ мне поставил, но мне запомнился другой преподаватель – женщина, которая после моего выступления стала критиковать мою работу: «Ты тут прилюдно защищаешь гомосеков! А что если над моим сыном надругается извращенец? Это не норма, а форма извращения». Мне надо было ответить, что у вашего сына своя голова на плечах. Вот, наверное, в следующем романе так и напишу.
- Pouvez-vous nous parler de vos projets ?
J’aimerais d’abord faire éditer le livre d’histoire pour les enfants que je suis en train de terminer. Je pense que c’est un de ces livres que je cousais quand j’étais petit et qui ne me sortent pas de la tête. Je n’ai écrit que quelques histoires pour le moment : elles parlent toutes d’animaux sauvages, qui vivent dans une forêt et sont amis avec un nuage magique. Je pense que j’ai déjà le titre : « Sur le nuage violet ». Mais j’ai tellement de projets ! Une idée me vient et aussitôt j’ouvre Word et j’écris. Et le lendemain, c’est parti. Radio-Nord, je l’ai écrit très rapidement, dans un souffle. L’idée m’est venue brusquement et avec une grande force.
- Несмотря на мой ответ выше, я бы очень хотел, чтобы вышла моя книга детских сказок. Видимо, сказки из шитых книжек в детстве, до сих меня не отпускают. Пока есть только несколько историй – они про зверей, которые живут в одном лесу и дружат с волшебным облаком. Думаю, будущая книжка уже получила свое название – «На фиолетовом облаке». А вообще, в голове столько идей! Вот вроде что-то ударит в голову, тут же начинаешь набирать текст в «Word», а на следующий день уже не идет. «Радио-Норд» написал быстро. Как на одном дыхании. Просто ударило в голову и очень сильно.