FRIEDMANN, Arnaud
à propos de son livre
LE TRESOR DE SUNTHY Ed. Lucca, 2019
-Arnaud Friedmann, né à Besançon le , est un écrivain français. Il écrit depuis l'âge de 15 ans. Après des études de lettres et d'histoire (mémoire de maîtrise sur l'immigration cambodgienne en Franche Comté dans les années 1975 - 1995) il travaille dans la fonction publique et dirige une structure dédiée à l'emploi. Son premier roman a été publié en 2003. Ses thèmes de prédilection : la filiation, la complexité des liens familiaux, le travail et sa déshumanisation.
Il a obtenu le Prix France Bleu 2012 du livre Franc Comtois pour Grâce à Gabriel (éditions La Boucle)1,2, et le Prix Louis Pergaud 2016 pour La vie secrète du fonctionnaire (Éditions Jean-Claude Lattès3), ainsi qu'en octobre 2017 le Prix de la ville de Belfort. Il a été assistant parlementaire d'Éric Alauzet. Depuis septembre 2018, il est co-gérant de la librairie Les Sandales d'Empédocle, à Besançon.
En mai 2019, il publie aux Editions Lucca un roman jeunesse de vulgarisation historique sur l'histoire de l'immigration cambodgienne en France, Le Trésor de Sunthy (wikpédia)
le blog de l'auteur (lciquez ici)
- Vous avez étudié l’histoire de l’immigration cambodgienne en Franche Comté : pourquoice sujet ? Quelles sont vos affinités avec le Cambodge ?
Lors du premier cours de maîtrise, la professeure, Mme Janine Ponty, spécialiste de l’histoire de l’immigration, a évoqué un travail de mémoire à faire cette année là, à partird’archives collectées par un prêtre qui avait œuvré à l’accueil des réfugiés du Sud Est Asiatique dans les années 70 et 80. J’ai tout de suite eu l’intuition que ce sujet était faitpour moi, et à la fin du cours je suis allé voir Mme Ponty, et je lui ai dit : le sujet sur l’immigration du Sud Est Asiatique m’intéresse. Je pense que la perspective de rencontrerdes acteurs et actrices de l’histoire encore vivant.e.s me motivait, comme le fait de découvrir une culture autre que la mienne. Avec le recul, je me dis que dans ce choix immédiat du sujet proposé par Mme Ponty, il y avait en germe ce qui plus tard me pousse à écrire des romans.
- Comment êtes-vous venu à un texte destiné à la jeunesse ?
Je ne m’étais jamais réellement posé la question de l’âge de mes lecteurs ou lectrices potentiel.le.s. Plus jeune, j’ai toujours lu des textes « adultes »… La rencontre avec leséditions Lucca s’est faite grâce à une amie, Delphine Gosset, qui a publié chez eux (Sur la route de Nosy Komba, un – très beau- roman inspiré de son doctorat sur les lémuriens). : j’ai tout de suite adhéré à l’idée de vulgarisation scientifique, et j’ai proposé à l’éditrice un roman inspiré de mon mémoire d’histoire. Le fait que j’aie deux filles adolescentes a peut-être joué aussi !
- Quelle est la part de documentation et de fiction dans ce roman ?
Pendant mon année de maîtrise, j’ai réalisé plusieurs interviews de réfugié.e.s cambodgien.ne.s. Celui d’une femme m’avait particulièrement marqué : je m’en suis inspiré en grande partie pour créer le personnage du grand père, et notamment la quatrième partie du livre (le récit à la première personne du grand-père). J’ai modifié le sexe du personnage, j’y ai aussi incorporé des bribes d’autres témoins que j’avais interrogés en 1995. Et pour Garance, je me suis inspiré de mes deux filles et de leurs amies. Finalement, j’ai procédé comme pour un roman de pure fiction : je suis parti d’un fait ou d’un individu qui m’a marqué, en le recomposant avec ma propre sensibilité, de manière à ce que la situation de départ ne puisse plus être confondue avec la situation écrite. Pour ce texte en particulier, la contrainte était de ne pas m’éloigner de la « vérité » historique… même si dans les fictions que j’écris, je m’impose des contraintes de vraisemblance psychologique.
- Les éditeurs pour la jeunesse sont souvent réticents à publier des textes historiques contemporains complexes et sans y associer une longue partie documentaire. Commenta été reçu votre texte par l’éditeur, comment s’est faite cette collaboration ?
J’ai envoyé un mail assez court à l’éditrice, Sandrine Harbonnier, en juin 2018 (le 26 précisément), qui présentait mon projet de roman, basé sur mes travaux de maîtrise. Elle a tout de suite adhéré, et le livre est paru moins d’un an plus tard (en mai 2019). Tout est donc allé très vite. J’ai particulièrement apprécié la manière dont Sandrine m’a accompagné au cours de l’écriture : ses conseils ont porté sur la dynamique du récit, elle m’a vraiment aidé à donner du rythme au récit. Pour la partie documentaire, le témoignage direct du grand père, ainsi que la rencontre avec le professeur d’histoire au chapitre VI, m’ont permis de « glisser » les éléments documentaires dans le récit sans que ce soit trop didactique (du moins j’espère que ce ne sera pas perçu comme tel par les lecteurs).
- Alors que les romans pour la jeunesse abordent le vécu des migrants dans leur pays d’accueil, votre récit est orienté plus particulièrement sur l’histoire du Cambodge : pourquoi ce choix, est-il facile de l’aborder avec les jeunes lecteurs ?
Quand j’ai rédigé mon mémoire, en 1995, j’avais 22 ans, et j’ai été très marqué de réaliser à quel point j’étais resté ignorant des drames subis par des personnes qui vivaient dans la même ville que moi. Bien sûr, j’avais entendu parler des boat people, mais entendre les récits de tant de réfugié.e.s témoins de bouleversements historiques, qui avaient traversé des épreuves dont je pensais un peu naïvement qu’elles ne pouvaient relever que de la fiction, ou de l’histoire plus ancienne, ça a été un véritable choc. C’est pourquoi il m’a semblé indispensable de faire la part belle à l’histoire du Cambodge, à la manière dont les gens y vivaient avant de devoir émigrer. Je pense aussi que cet aspect est plus aisé à romancer que la description des conditions et modalités d’accueil des immigrés.
- Vous avez une certaine expertise sur l’histoire des français d’origine cambodgienne : quelles principales caractéristiques pouvez-vous relever ?
C’est une question très délicate car lorsqu’on schématise il y a toujours le risque de caricaturer, de stigmatiser (c’est aussi ce que j’essaie de montrer dans mon livre). Beaucoup de Cambodgiens ont ainsi insisté sur leurs différences culturelles avec les Vietnamiens (initialement j’avais envisagé de travailler sur l’immigration de tout le Sud Est asiatique, avant de restreindre mon étude aux seuls Cambodgiens – parce que c’était la population la plus nombreuse en proportion à Besançon, et parce que c’est avec des Cambodgiens que j’ai eu le plus d’entretiens dans les premiers mois de mes travaux). Les Français qui ont accueilli et accompagné les réfugiés à leur arrivée en Franche Comté ont aussi tous souligné leur extrême discrétion, leur attachement à la famille et aux traditions… même si pour les enfants de la seconde génération ces caractéristiques tendaient à s’estomper – voire à être rejetée. C’est en pensant à ce que m’avait confié un adolescent d’origine cambodgienne en 1995 que j’ai créé le personnage du père de Garance : il me disait que les fêtes traditionnelles l’ennuyaient, qu’il rêvait d’un logement au centre ville de Besançon dans un immeuble aux pierres bleues et blanches typiques de la région…
- Les jeunes générations sont-elles selon vous plus ouvertes, plus intéressées par leurs propres histoire ?
Le schéma « classique » (avec cette fois encore les réserves de rigueur) veut que la seconde génération soit plus dans une démarche d’assimilation au pays d’arrivée, quand le retour aux origines est plus le fait des troisième ou quatrième générations. Dans ma propre famille, mon arrière grand père était italien, sa fille ne parlait pas sa langue natale, et c’est ma mère et moi qui avons recréé le lien avec la péninsule.
- Les récits sur le Cambodge ou les français d’origine cambodgienne sont rares dans la littérature jeunesse. Comment peut-on se l’expliquer ?
Un des traits souvent évoqués par les Cambodgiens est leur goût à la discrétion. Je ne sais pas si cela peut être une raison qui explique cette rareté que vous évoquez !
- Si vous deviez écrire un autre roman sur le Cambodge, qu’aimeriez-vous évoquer ?
J’aimerais écrire une fiction qui se déroule dans le Cambodge contemporain. Peut-être qu’à l’occasion d’un voyage sur place les idées me viendront ?
- Pouvez-vous nous parler de vos projets ?
Cet été, j’ai un projet d’écriture qui me tient à cœur depuis longtemps, et qui aura pour cadre l’hôtel où j’ai passé tous mes étés depuis l’enfance (et qui sera détruit cet hiver). Comme j’ai eu beaucoup de retours positifs sur Le trésor de Sunthy, l’idée d’un autre texte pour la jeunesse fait également son chemin. Cet été je vais revoir les châteaux de Bavière, qui m’avaient beaucoup marqué à ma première visite : je garderai dans un coin de tête la possibilité d’un livre à venir sur Louis II de Bavière, personnage éminemment… romanesque !