LEMAIRE, Emmanuel
Emmanuel Lemaire est bibliothécaire à Rouen, sa ville, et auteur de BD pour beaucoup autobiographiques.
Rencontre avec Emmanuel Lemaire, à propos de "Ma voisine est indonésienne" Ed. Delcourt (Shampooing), 2021
Mme "Hibou" est originaire de Papouasie en Indonésie ; elle est traductrice freelance en semaine, mais le week-end, elle prend le train pour découvrir la France... De quoi susciter la curiosité de son voisin!
- Comment êtes-vous venu à la BD ?
J'ai toujours dessiné et toujours été un grand lecteur de bande dessinée mais cette activité s'est toujours faite "à côté", jamais à plein temps. En effet j'ai eu un parcours universitaire et je travaille actuellement dans une bibliothèque. Le parcours emprunté pour venir à la bande dessinée a été "classique " d'abord du fanzine puis un peu d'auto-édition pour enfin trouver un éditeur régional qui m'a fait comprendre ce que je voulais vraiment faire: dessiner des histoires à travers des paysages. Ça a donné: Rotterdam un séjour à fleur d'eau (Delcourt). Rouen par cent chemins différents (Warum) et Ma voisine est indonésienne (Delcourt).
- Quels sont les auteurs, les BD ou héros qui vous ont marqué ?
Enfant et adolescent j'ai été bercé par la Bd franco-belge. Le journal Tintin et la fréquentation hebdomadaire des bibliothèques ont alimenté mon imaginaire. J'adorais les séries Jonathan, Martin Milan, Chevalier Ardent, Tanguy et Laverdure...
La fin de mon adolescence a été marquée en particulier par deux séries : Corto Maltese de Pratt et Alack Sinner de Munoz et Sampayo. Belle écriture et dessin puissant. Je me suis rendu compte que l'on pouvait écrire en dessinant et réciproquement!
Mais mes influences sont aussi graphiques. J'ai une grande admiration pour la composition des estampes japonaises. La place du vide dans le dessin est un sujet de préoccupation qui m'importe. D'ailleurs, dans un épisode d' Alack Sinner , il y a un dialogue qui pose la question de savoir "si le dessin est à l'intérieur ou à l'extérieur du trait". Cette question rejoint la place accordée au vide dans l'image.
Il y a aussi tous les contemporains que je peux découvrir en librairie ou par l'intermédiaire des réseaux sociaux. Je suis curieux de tout et la bande dessinée est très riche en talents et univers proposés. Parmi les dessinateurs qui me parlent le plus, mais je vais en oublier, je peux citer Blutch, Jeff Pourquié, Yves Chaland, Lelong, Emmanuel Guibert, …
- Les villes, les territoires sont très présents dans vos albums : quelles sont les thématiques que vous souhaitez aborder ?
Observer l'être humain à travers son biotope urbain me fascine.
Dans Rotterdam, un séjour à fleur d'eau, je retranscrit un séjour fait dans cette mégalopole en 2013. Je fais part de la découverte d'une mégalopole hyper moderne, tout en verticalité où l'architecture semble pouvoir tout se permettre … Pourtant Rotterdam (qui est le 3eme port du monde) est à 70 % sous le niveau de la mer. Cette ville gigantesque est donc très fragile. C'est ce mélange de verticalité et d'horizontalité, de force incroyable et de fragilité terrible que j'ai essayé de retranscrire.
Dans Rouen par cent chemins différents, je ne découvre pas une ville. Je dessine la ville dans laquelle j'ai toujours vécu: Rouen. Cette ville se situe en Normandie, sur les bords de Seine, à équidistance de Paris et de la mer. C'est une vieille ville au tissu urbain serré et chargé d'histoire(s). Dans cette histoire, le narrateur se perd dans ses sentiments comme dans le labyrinthe des rues. Il essaie par tous les moyens de s'en sortir, de
trouver "la sortie", d'échapper à ses tracas. La ville sert de support à la représentation d'un état d'esprit.
Dans Ma voisine est indonésienne, il s'agit de retranscrire un témoignage et une rencontre. Cette femme est traductrice la semaine et le week-end elle prend le train pour découvrir un coin de l'Hexagone. C'est une amoureuse de la France, de sa langue et de sa culture. C'est le regard d'une étrangère sur mon pays que je transcris ici. Il est question de la découverte de villes françaises à travers le regard d'une inconnue: elle vient des antipodes, son regard est donc complètement différent du mien. Parallèlement il s'agit de la découverte de l'Indonésie, archipel que je ne connaissais que très peu.
Bref, j'essaie de trouver à chaque fois un angle différent pour faire parler des paysages et les dessiner.
A propos de « Ma voisine est indonésienne » :
- Comment avez-vous rencontré votre éditeur ?
Il s'agit du même éditeur que Rotterdam un séjour à fleur d'eau. Je l'ai contacté et il a apprécié la thématique abordée.
- Madame « Hibou » est-elle réellement votre voisine ? Comment est née cette histoire ?
Ce récit comme ceux précédemment évoqués est autobiographique.
En découvrant la vie de ma voisine de palier, j'ai vu la possibilité de dessiner beaucoup de paysages d'une part et d'autre part de redécouvrir mon pays à travers ses yeux. Il n'en a pas fallu plus pour me lancer.
- Quelles sont vos affinités avec l’Indonésie, comment avez-vous travaillé pour aborder ce choc culturel ?
Avant de rencontrer cette voisine j'ignorais presque tout de l'Indonésie. Je ne savais pas vraiment situer sur une carte cet archipel. Peut-être parce que cette partie de l'Océanie (d'autres diront de l'Asie) est étrangère à l'histoire de mon pays.
Mais ça tombait bien car ce que j'aime dans la construction d'un récit c'est m'immerger dans l'inconnu et chercher et découvrir quel rapprochement je peux faire avec ce que je connais déjà. Car on réfléchit, tout est plus ou moins lié, mais il faut trouver comment...
Il y a aussi le fait que ma mère est d'origine belge. J'ai pu constater quand j'étais enfant la difficulté qu'elle a eu de vivre dans un pays qui n'était pas le sien. Même si la Belgique n'est pas si éloignée que ça de la France, il existe des différences et vivre avec ces différences n'est pas toujours aisé... ça m'a sans doute un peu aidé à appréhender le choc culturel qui a pu exister lors de mes échanges avec ma voisine.
Ceci dit, ma voisine connaît bien la France, elle y vit depuis 10 ans. Le choc culturel était peut être plus facile à appréhender pour moi dans ces conditions.
- Si vous aviez inversé les rôles de vos protagonistes, qu’auriez-vous visité en Indonésie ?
Je visiterai avec grand plaisir la ville et l'île de ma voisine qui me fera un très bon guide j'en suis certain.
J'aimerai me promener dans les rizières avec un carnet de croquis à la main..
Aller dans la vallée de Bada que j'évoque dans le récit me tenterait bien aussi.
Marcher dans la forêt tropicale, voir des papous est aussi tentant.
Ceci dit, l'Indonésie est si vaste qu'il est difficile de faire un choix.
- Cet album arrive avec le confinement… cette étrange période a t-elle eu un impact sur votre travail, vos idées sur de futurs albums ?
J'étais au deux tiers du récit quand le confinement de mars 2020 s'est imposé. C'est l'éditeur (Lewis trondheim) qui m'a donné l'idée d'insérer ce drôle de moment dans le récit. Pourtant je n'étais pas chaud car il y avait déjà une fin de prévue et changer la mécanique d'un récit en cours de route peut être périlleux. Après réflexion, je me suis dit qu'il pouvait être intéressant de parler de cette période d'immobilité imposée sachant que ma voisine est quelqu'un qui voyage sans arrêt. Quelle pouvait être alors sa réaction face à cette situation ? Ensuite il fallait trouver la manière d'intégrer et de développer cet évènement dans le récit....Je ne le regrette pas et remercie vivement l'éditeur de m'avoir suggéré cette idée.
- Pouvez-vous nous parler de vos projets ?
J'aimerai continuer à raconter des histoires à travers des paysages (évidemment).
Et il se murmure que dans un avenir plus ou moins proche il va se passer des choses sur mon compte instagram
Suivre Emmanuel Lemaire sur Instagram :
https://www.instagram.com/emmanuelemaire/
Présentation de la BD au Musée du Quai Branly (cliquez ici)
BIBLIOGRAPHIE
Arbre de l'innocent (L')20122013
Histoires et Légendes Normandes2014
Ma voisine est indonésienne2021
Rotterdam - Un séjour à fleur d'eau2016