ARRANG, UN ENFANT DE BORNEO

"ARRANG, UN ENFANT DE BORNEO" / Florian Siegert, Barbara Ceit, Hans-Otto Wiebus ; trad. de l'allemand par Olivier Barlet. - Ed. Nathan, 1992

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Arrang a sept ans. Il vit presque à l'autre bout du monde, quelque part dans les forêts tropicales de Sarawak. C'est la région nord de l'île de Bornéo qui fait elle-même partie de la Malaisie. Arrang est un Pouman.

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La maison d'Arrang n'est pas simple à trouver. Avec sa famille, il habite en pliene forêt tropicale. Aucune route n'y accède. Pour aller les voir, il faut louer un bateau à Marudi, une petite ville de 5000 habitants. On remonte le fleuve pendant trois jours à travers la forêt. Des troncs d'arbre flottent dans l'eau et des branches descendent le courant.

C'est un indigène qui conduit le bateau. Il sait comment le mener avec prudence pour ne pas l'abîmer. Plus le fleuve devient étroit, plus il est rapide. Les branches des grands arbres des deux rives se rejoignent en un sombre tunnel de verdure. Des orchidées rares poussent au bord de l'eau ; des lianes se fraient un chemin vers la lumière tandis que des plantes aquatiques laissent trainer dans l'eau brune leurs nombreuses racines.

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L'indigène ne sait pas très bien non plus où habite la famille d'Arrang. Sa tribu ne vit pas toujours au même endroit. Elle change de place lorsqu'après trois ou quatre mois il lui devient difficile de trouver sa nourriture. Au bout de trois jours, voici enfin l'insigne des Pounans : un crâne de bête suspendu à un arbre. Il sert à éloigner de la tribu les mauvais esprits. Nous devons faire encore près de cinq kilomètres à pied pour atteindre le village d'Arrang.

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Dans la forêt tropicale, cela prend presque une journée car il n'y a ni chemin ni sentier. L'indigène reconnait à des signes qu'un européen ne verrait jamais - une branche cassée, des traces de pas ou même des odeurs -, que l'on approche du village où habite Arrang. Quatre huttes se dressent dans une petite clairière. Arrang et sa famille en occupent une. Elle est construite sur pilotis pour que les serpents et les scorpions ne puissent pas y entrer. Le toit est en feuilles de palmier.

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La maison d'Arrang abrite ses parents ainsi que son petit frère Ubung et sa soeur Unan. Elle n'a pas de murs : ils sont inutiles puisqu'il fait toujours chaud! Sous la hutte, cinq chiens sont allongés et dorment dans la chaleur de midi. C'est Tabilan, le père d'Arrang, qui les a dressés pour la chasse. Il y en a même un qui s'est mis dans une bassine!

Le toit en feuilles de palmier protège efficacement contre les nombreuses pluies des forêts tropicales. Toute la famille dort sur des nattes tressées par la grand-mère. Il faut sans cesse réparer la maison car les orages et les tempêtes l'abîment souvent.

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Les Punans ne portent que des pagnes autour des hanches. Ils sont faits en écorce d'arbre sur laquelle on a tapé jusqu'à ce qu'elle soit aussi douce qu'une étoffe. On peut les laver et la mère d'Arrang, Urai, Les étend ensuite près de la hutte pour les faire sécher. Les femmes portent en général un sarong, un tisssu riche en couleurs enroulé autour de la hanche.

On n'a bien sûr pas besoin de beaucoup s'habiller dans la forêt chaude et humide. Il y fait si chaud que les européens sont toujours en sueur, même s'ils ne bougent pas. Arrang, lui, est habitué à la chaleur et ne sue que lorsqu'il fait un effort.

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Arrang ne se lave jamais. Lorsqu'il quitte le village, il doit souvent traverser les ruisseaux, ce qui le nettoie automatiquement. De temps en temps, sa grand-mère lui coupe les cheveux. Elle chauffe un morceau de bois et roussit les cheveux en trop. Arrang n'aime pas l'odeur que cela dégage et est content que sa grand-mère ne joue pas trop souvent à la coiffeuse!

Les grands-parents d'Arrang habitent dans la hutte d'à côté. Sa grand-mère sait tresser de très beaux sacs tandis que son grand-père est un spécialiste dans la confection des carquois. Il les fait avec des calebasses. Les Punans doivent tous avoir un carquois car ils vont à la chasse avec des flèches empoisonnées. Arrang n'a bien sûr pas le droit de les toucher.

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Arrang aime bien que son oncle Tugay lui montre ses flèches. Il ne peut pas encore tenir le long tube qui sert à souffler, mais a presque toujours sur lui sa lance, comme tous les Punans. Ils l'enmènent toujours avec eux dans la forêt, ainsi qu'un parang, un grand couteau qui a presque l'air d'une épée. Le parang sert à couper les lianes qui empêchent d'avancer. Quant à la lance, les Punans en ont besoin pour se défendre contre les bêtes sauvages.

Arrang a parfois le droit aussi d'aller à la chasse. Il sait déjà se faufiler en silence dans la forêt, sans qu'aucune bête ne le remarque. Cependant, lorsque les chiens ont déniché un sanglier ou un cerf et que son père et les autres hommes du village s'en approchent lentement, rpêts à souffler une flèche empoisonnée avec leurs longs tubes, Arrang doit resté caché derrière un arbre. Il a sa manière à lui de trouver quelque chose à manger : il sait très bine où poussent les fougères au goût délicieux que sa mère fait revenir dans la graisse de sanglier.

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Sa mère cultive un petit champ avec les autres femmes. Il y pousse de la canne à sucre et du manioc, une tubercule semblable à la pomme de terre. Arrang va parfois chercher un morceau de canne à sucre dans le champ. Elle a un goût sucré quand on la mâche.

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Les Punans se nourrissent surtout de sagou, la moelle de certains palmiers qui poussent dans la forêt. Arrang et sa mère doivent souvent marcher longtemps pour en trouver. Les hommes les abattent et les coupent en morceaux d'un mètre de long. Ils fendent le bois dur avec des hâches pour que les femmes et les enfants puissent en extraire la moelle. On l'étend sur des feuilles entrelacées pour la mouiller et la filtrer. La mère d'Arrang la cuit ensuite pour en faire une pâte. On la mange avec des herbes sauvages et quelquefois du sanglier ou du cerf, quand les hommes du village ont eu de la chance à la chasse.

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Mais il est rare que les hommes attrapent de telles bêtes, si bien que c'est toujours un jour de fête lorsque cela arrive. La viande est alors équitablement partagée entre chaque famille, y compris celles qui n'étaient pas à la chasse. Pour cela, les chasseurs coupent la bête en petits morceaux qu'ils exposent sur des feuilles de palimier. Les habitants du village allument un grand feu pour y cuire la viande. Celui qui a tué la bête a le droit de prendre un morceau de choix : la tête de l'animal. Ce sanglier fournira deux jours de nourriture à la tribu.

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Arrang ne sait pas ce qu'est une école. Il n'apprend ni à lire ni à écrire : il n'en a pas besoin. Par contre, il doit s'initier à de nombreuses choses nécessaires pour vivre dans la forêt. Nous aurions facilement peur de la forêt. Arrang, lui, y évolue comme les enfants dans les rues de nos villages ou de nos villes. Il connait les sentiers cachés qui entourent le campement tel que celui qui mène au champ de canne à sucre. Il sait où l'on peut trouver des fougères et des fruits.

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Arrang connait les urisseaux et les rivières, les crabes et les poissons. Il va parfois chercher à manger seul ou accompagné de son frère, mais, en général, il suit son père, son oncle ou sa mère. Les adultes, à commencer par son grand-père Nilong, le "Tua", lui ont appris qu'il est interdit d'aller dans la forêt : là où des arbres sont tombés ou bien là où des branches sont cassées ; ce sont en effet les signes laissés par les esprits qui hantent la foret. Ils habitent dans certains arbres que l'on ne doit jamais abattre. Arrang sait bien les reconnaitre.

On lui a aussi raconté l'histoire des omens, ces oiseaux qu'il est interdit de tuer car ils sont en relation avec les esprits. Il y en a un qui dit, par ses cris, s'il est temps de célébrer un mariage ou non. Un autre indique le chemin : s'il s'envole vers la droite, cela montre qu'on ne va pas dans la bonne direction ; s'il s'envole vers la gauche, c'est signe de chance. Il y a encore beaucoup d'autres omens qui donnent d'autres signes. Arrang ne les connait pas encore tous.

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Arrang sait comment il doit se comporter dans la forêt. C'est pour cela qu'il n'en a pas peur. La forêt offre à ses habitants de quoi se nourrir, se protéger et construire leurs maisons. Elles est parfois menaçante, lorsque de violents orages déracinent des arbres et que les esprits lancent des éclairs. Mais, la plupart du temps, la forêt est une amie. Arrang connait toutes les bêtes : les dangereuses telles que les serpents et les mille pattes dont la morsur peut être mortelle mais aussi celles qui ne font aucun mal comme les papillons, les hibous, le gecko et, bien sûr, les sangliers.

Lorsque le niveau de la rivière a baissé, Arrang va avec tout le village à la pêche : cela est très excitant et demande beaucoup de préparations. Son grang-père lui a dit que personne ne devait en parler : les poissons l'entendraient et ne se laisseraient plus attraper.

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Le père et l'oncle d'Arrang mettent deux jours à trouver l'arbre dont l'écorce servira à la pêche. Elle contient un poison qui endort les poissons. On la frappe durant des heures dans l'eau de la rivière pour que le poison se répande. D'innombrables poissons apparaissent, paralysés, à la surface de l'eau. Tous les instruments de chasse doivent alors être plongés dans l'eau et toute la tribu y met également les pieds. Les poissons ne doivent non plus être montrés du doigt. Ainsi le veut la tradition de Punans.

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Les hommes attrapent ensuite les poissons avec leurs lances. Arrang porte un sac et esaye de faire de même avec la sienne. C'est très difficile : la lance tombe souvent à côté! On met les poissons dans des paniers. Les femmes les nettoient et les vides. Chacun reçoit ensuite sa part. Le soir, on les cuit ou les rôtit. Toute la pêche est comme une fête car tous sont rassemblés pour travailler et rire.

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La forêt ne donne pas aux Punans tout ce sont ils ont besoin pour vivre. Il leur faut trouver ailleurs le efr des hâches et des pointes de lances ainsi que le tabac, car ils aiment beaucoup fumer, sans oublier le sel, les étoffes et les marmites. Et des montres! Le père d'Arrang en porte même trois au bras : ce sont ses bijoux préférés! Pour cela, il leur faut proposer quelque chose en échange. C'est pourquoi Arrang va avec les autres hommes à la recherche du garou. Le bois dur de cet arbre a une merveilleuse odeur et se vend très cher. Les Punans n'abattent jamais l'arbre entier ; ils n'en prennent que certaines branches. On en fait du parfum et des baguettes odorantes. Il est facile de le troquer contre autre chose.

Arrang aime tout spécialement aller dans les grottes où vivent des millions d'hirondelles et de chauves-souris : on y voit presque rien et elles font parfois plus de cent mètres de hauteur. Sur le haut des parois, les hirondelles font leurs nids. On peut les troquer très facilement parce qu'ils sont très appréciés des chinois. Pour les atteindre, les Punans bâtissent de hauts échafaudages en bois. Il est très dangereux de les escalader et Arrang est trop petit pour cela. Il ramasse les nids que ses parents lui lancent.

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Comme il fait très sombre dans la grotte, Arrang et sa famille ont confectionné des flambeaux en bois dur et riche en résine qui brûlent longtemps. Il faut cependant être très prudent : on y rencontre beaucoup de serpents et de mille pattes venimeux!

Lorsque les Punans ont rassemblé suffisamment de nids d'hirondelles, ils rencontrent des commerçants à des endroits convenus. Les Punans sont très réservés et ne parlent que très peu. Ils indiquent d'un signe si'ls sont d'accord avec les quantités échangées. Ils ne s'approchent jamais d'une ville ou d'un village.

Lorsqu'ils se rendent aux grottes ou à la rencontre des commerçants, les Punans voient de plus en plus souvent les bûcherons qui s'enfoncent dans la forêt et en abattent des arbres. Ils ont construit des routes et utilisent d'énormes véhicules à chenille pour sortir les arbres géants de la forêt. De gros camions leur apportent de la nourriture et de l'essence pour les tronçonneuses. Les bûcherons n'aiment pas les Punans : ils les traîtent avec mépris "d'hommes-singes" ; ils ne peuvent pas comprendre que l'on puisse, comme Arrang et sa famille, vivre sans électricité, sans télévision, sans réfrigérateur. Alors pourquoi les bûcherons se soucieraient-ils de ce que deviendront les Punans et la forêt?

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Chaque jour, ils s'enfoncent un peu plus dans la forêt. On entend des tronçonneuses dans des endroits où l'homme des villes n'était jusqu'alors jamais venu. Lorsque les bûcherons veulent abattre un arbre au bois précieux, un merenti par exemple, ils commencent par couper des dizaines d'arbres car il leur faut un chemin pour tirer ce géant de plusieurs tonnes jusqu'à la route ou la rivière la plus proche. En tombant, le géant arrache beaucoup d'autres arbres et de plantes : c'est une véritable blessure qui s'ouvre dans la forêt.

Ces blessures se multiplient là où les marchands de bois envoient leurs hommes. Les bêtes qui vivaient auparavant des feuilles et des fruits des arbres et qui y trouvaient un abri doivent quitter cette partie de la foret. A la place des géants que l'on a abattu ne poussent que ronces et lianes. Les singes qui passaient leur temps dans la couronne des arbres sont allés plus loin, tous commes les perroquets aux chaudes couleurs. Les sangliers ne trouvent plus de nourriture et les Punans ne peuvent plus y vivre. Ils doivent déménager là où la forêt reste encore impénétrable et où il n'y a pas de bûcherons.

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Le Tua a mené sa tribu beaucoup plus loin dans la forêt, mais elle ,e reste pas en paix longtemps. Des hommes viennent s'y installer, qui cherchent des minéraux dans le sous-sol et des arbres aux espèces rares. Arrang et sa tribu peuvnet les observer sans êtres vus. Les Punans en ont peur. Les commerçants ont dit au père d'Arrang que des maisons ont été construites pour loger les Punans très loin d'ici ; de grandes maisons où pouraient vivre toute la tribu - des maisons du gouvernement. Les Punans y auraient une vie meilleure que dans la forêt. Le gouvernement veut qu'ils la quittent, mais le père d'Arrang, le Tua et tous les autres Punans n'en n'ont pas l'intention. La forêt est leur pays ; c'est là qu'ils veulent vivre. Depuis que les exploitants de bois s'y enfoncent, les Punans n'arrivent plus à trouver un espace à eux.

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Il y a vingt ans, l'île de Bornéo était presque entièrement couverte de forêt. Celle-ci a aujourd'hui diminué de moitié. Chaque jour, la forêt recule ; chaque jour est détruite une surface égale à mille terrains de football! Si l'on ne sauve pas la forêt tropicale, il n'y aura bientôt plus ni Punans, ni oiseaux pour dialoguer avec les esprits.

Le livre se termine par une double page de documentaire.