PUSPURANI, UNE ENFANT DU SRI LANKA
"PUSPURANI, UNE ENFANT DU SRI LANKA" / Béatrice Ingermann ; adapt. de l'allemand par Olivier Barlet. Ed. L'Harmattan, 1992
Du thé vert à perte de vue ; un immense tapis vert qui recouvre les collines et monte parfois jusque dans les montagnes.
Il pousse dans ce pays un nombre incalculable de théiers : des milliers de petites feuilles vertes qui attendent d'être cueillies.
Il n'y a pas toujours eu du thé sur ces collines : des hommes et des femmes venus d'Inde ont travaillé dur et longtemps pour l'y planter. Il leur a fallu couper la jungle épaisse à la machette et à la hâche.
Ils ont eu faim et soif ; il leur a fallu travailler sous un soleil de plomb comme sous des pluies torrentielles.
C'étaient tous des tamouls : les tamouls, population de l'Inde voisine sont venus au Sri Lanka pour trouver du travail. Les cinghalais qui vivaient dans cette grande île depuis longtemps ont souvent méprisé ces nouveaux arrivants, évitant tout contact avec eux. Aujourd'hui encore, les deux communautés se connaissent mal.
A l'époque où les tamouls sont venus, les anglais dominaient le pays et décidaient de tout. "Allez au Sri Lanka! Vous vous enrichirez si vous travaillez pour nous!" leur avaient-ils promis en Inde.
Ils leur avaient parlé de cette île comme d'un paradis, ce qui était bien sûr très attrayant pour des gens aussi pauvres. Ils prirent donc par milliers le chemin de ce pays de rêves. S'ils avaient su ce qui les attendait, ils n'auraient certainement pas quitté leur Inde natale! Beaucoup sont morts d'épuisement durant le voyage, devant aller à pied du port de Talaimannar jusque dans les montagnes.
Il y a plus de cent ans de cela. La jungle a disparu depuis longtemps ; le paysage a l'air d'avoir été aménagé comme un grand parc. Ces hommes et ces femmes ont eu des enfants qui ont grandi et ont eu à leur tour des enfants. Aujourd'hui, ces enfants tamouls ne connaissent rien de l'Inde de leurs origines, si ce n'est par les histoires que racontent leurs grands-parents. Le Sri-Lanka est leur pays car c'est là qu'ils sont nés.
Je m'appelle Puspurani. Je viens de jouer avec ma petite soeur Amutha et, voyant la nuit venir, nous sommes rentrées à la maison. Nous habitons dans un village situé au coeur des montagnes à thé du Sri-Lanka.
"Puspurani, va vite chercher de l'eau avant que l'on n'y voit plus rien!" me lancema mère de la cuisine quand nous arrivons à la maison. Elle est en train de préparer le repas du soir. Je prends vite un seau et cours à la fontaine. Nous sommes en pleine saison des pluies : il coule beaucoup d'eau du tuyau. Il nous apporte de l'eau de la montagne quand il a suffisament plu. Bientôt commencera la saison sèche et il n'y aura plus d'eau au tuyau : ma grande soeur, Saroja, devra aller chercher l'eau à la rivière, à une demi-heure de marche.
Lorsque je reviens avec mon seau rempli d'eau, mon père et mon grand-frère Kumar sont déjà revenus du travail. C'est curieux : aujourd'hui, ils ne disent rien. La seule à rire est ma petite soeur Vasantha qui se prélasse par terre en me regardant.
Je déroule la natte sur le sol pour que nous puissions nous asseoir et manger. En plus de Vasantha, Amuthar, Kumar et de ma grande soeur, Saroja, j'ai encore un frère, Ramiah, qui a juste un an de plus que moi.
Nous mangeons tous les soirs la même chose : du riz que nous trempons dans une sauce. Je suis justement en train d'en avaler une grosse bouchée lorsque mon père s'écrie : "Je ne sais plus ce que nous devons faire!"
Il regarde ma mère. "La vie est de plus en plus dangereuse ici. Qui sait s'ils ne viendront pas?" Puis, il raconte ce qu'il a entendu à l'épicerie du village.
"Les villages proches de Kahawatta ont été attaqués. Les pillards ont obligé les gens à sortir de leur maison tous leurs objets de valeur et se sont servis. Puis, ils ont mis le feu au reste." Je vois la main de mon père trembler pendant qu'il parle. "Qui sait quand sera notre tour? On ne peut plus se sentir en sûreté chez soi. On travaille tous les jours comme des bêtes de somme dans les plantations : on ne fait de mal à personne!"
Papa dit : "C'est parce que nous sommes des tamouls que cela nous arrive, parce que nous sommes des étrangers". Je n'y comprends rien : je suis née ici, au Sri Lanka, et mes parents, mes frères et mes soeurs aussi!
Plus tard, alors que je fais la vaisselle derrière la maison, arrive mon amie Seetha : elle habite juste à côté ; c'est plus drôle de faire la vaisselle à deux.
"Tu as entendu ce qui s'est passé à Kahawatta?" demande Seetha. "Mon père dit que nous allons partir en Inde parce que là-bas, il ne peut rien nous arriver." "Seetha, tu vas partir?" dis-je horrifiée. Je ne peux pas y croire : Seetha est ma meilleure amie!
Lorsque, plus tard, nous sommes allongés sur la natte pour dormir, j'entends encore longtemps mes parents parler en chuchotant. Je pense à Seetha et à son départ pour l'Inde. Cela me rend toute triste.
Quand je me réveille, Maman et Saroja sont déjà prêtes pour le travail. Elles s'attachent encore leur grand panier à thé autour du front et s'en vont. Papa et Kumar sont déjà partis arracher les mauvaises herbes dans les plantations. Je réveille mon frère Ramiah. Comme petit déjeuner, nous buvons une tasse de thé au lait. Maman nous a déjà tout préparé avant de partir. Chez nous, le lait est très cher ; nous n'en buvons que le matin.
Avant d'aller à l'école, j'accompagne Vassantha et Amutha à la crèche. Deux jeunes femmes du village voisin gardent les enfants pendant la journée car les parents travaillent tous dans les plantations.
Je retrouve Seetha à l'école. "Tu sais, mon père a fait une demande d'autorisation pour émigrer en Inde.", me dit-elle. "Pourquoi de venez-vous pas aussi?" Je ne puis lui répondre car le maître vient d'entrer. Il dit que notre classe doit chanter une chanson pendant qu'il explique quelque chose aux petits. Ils sont assis devant par terre parce qu'il n'y a pas assez de bancs pour tous.
Notre école est une grande pièce où le maître fait cours à trois classes à la fois. Il n'arrête jamais ; dès qu'il a fini avec nous, il s'adresse à une autre classe. Moi, en fait, j'aime bien aller à l'école.
Aujourd'hui, le maitre nous raconte comment nos grands-parents et nos arrières grands-parents sont venus au Sri Lanka. Il dit que les anglais leur avaient promis de grandes richesses et une vie meilleure pour qu'ils quittent leur Inde natale... Mais aucun n'est devenu riche. Il y a plus de cent ans de cela. Le maitre dit que leur patrie était l'Inde. Notre patrie à nous, c'est le Sri Lanka : nous sommes tous nés ici, nos parents aussi bien que nous.
En rentrant de l'école, je rencontre Ranniah. Il n'y est pas venu car il devait ramasser du bois. Il vient chercher Vassantha et Amutha à la crèche avec moi.
Une fois arrivé à la maison, Ranniah pose les morceaux de bois devant la porte et repart en chercher d'autres.
Notre maison est très longue et a quinze portes!Derrière chaque porte vit une famille. Les logements sont petits : juste une chambre et une cuisine. Avec Vasantha et Amutha, nous préférons jouer dehors en attendant que maman et Saroja rentrent du travail.
Je les vois déjà monter le chemin avec les autres femmes. Elles suspendent les paniers à thé vides près de la porte et vont vite à la cuisine préparer à manger afin de ne pas être en retard pour la reprise du travail. Il leur faut sans cesse remettre du bois sur le feu pour qu'il ne s'éteigne pas. Lorsque Ramiah revient, nous nous asseyons surla natte pour le repas. Pendant que nous mangeons avec Saroja, maman donne le sein à Vasantha qui boit avec avidité ; elle met ensuite un peu de riz dans une feuille de journal pour que je l'apporte à papa et à Kumar qui sont encore aux champs.
Maman et Saroja se rattachent les grands paniers autour de la tête. Elles ont encore cinq heures de travail cet après-midi.
Je pars tout de suite pour que papa et Kumar n'attendent pas trop longtemps. Cette semaine, ils travaillent loin de la maison et cela ne vaut pas la peine d'y revenir manger à midi. De loin, j'entends crier Ramiah, le surveillant. Il est Tamoul comme nous. Il dit aux hommes de travailler plus vite et de ne pas paresser, sinon "il leur en fera voir".
Je déteste Ramiah ; il fait toujours comme s'il valait mieux que les autres. Lorsque j'arrive avec le repas, papa est juste en train de s'essuyer la sueur du front. Il gronde à voix basse en regardant Ramiah : "Vaurien! Et dire qu'il n'est payé que pour nous surveiller" Il fait cependant attention à ce que Ramiah ne l'entende pas.
Au retour, je fais un petit détour pour aller voir maman et Saroja. La mère de Seetha y est aussi. Elles cueillent toute la journée les feuilles de thé pour remplir le panier attaché à leur tête : elles ne doivznt choisir que les jeunes pousses car les autres sont trop dures. Quand le panier est plein, il est trop lourd ; elles l'apportent à la balance où l'on inscrit très précisément quel poids de feuilles chacune a ramassé. Puis elles retournent tout de suite au champ pour continuer la cueillette. En période de récolte, elles travaillent tous les jours, même le samedi et le dimanche.
Un soir, après le dîner, nous sommes tous assis sur la natte. Maman est en train d'écraser une noix d'arec qu'elle roulera dans une feuille de bétel pour pouvoir la mâcher longtemps. "Les cigarettes sont bien trop chères et mauvaises pour la santé!" dit-elle souvent. Mes parents parlent des dernières nouvelles : on dit qu'un magasin appartenant à un Tamoul a été incendié non loin d'ici.
Je crois que mes parents ont peur. Ils savent qu'ils ne peuvent rien faire. "On n'est bon qu'à travailler!" dit papa, avec amertume. "Et si un jour on n'a plus besoin de nous, nous n'avons plus qu'à partir!"
"Les parents de Seetha veulent aller en Inde", dis-je prudemment. Ma mère s'arrête de broyer sa noix et mon père me regarde silencieusement avant de dire doucement ; "Je sais". Je lui demande pourquoi nous n'irions pas nous aussi en Inde ; il me caresse les cheveux et me prend dans les bras.
"Il y a longtemps que je le dis!" lâche Kumar. "Devrons-nous attendre qu'il soit trop tard?" Papa hausse les épaules. "Je ne sais pas", répond t-il. "Que ferons-nous en Inde? Où irions-nous? Le Sri Lanka est notre pays. En Inde nous ne connaissons personne et ne savons pas où trouver du travail." "Le père de Seetha dit qu'il vaut mieux mourir de faim entre tamouls en Inde qu'être tués ici par des Cinghalais", ajoute Kumar. Papa s'énrve alors et crie : "Arrête de dire des bêtises! Tout ce que je veux, c'est qu'on nous laisse vivre et travailler en paix! Nous n'avons rien fait à personne!"
Maman essaye de changer de sujet : "j'ai entendu qu'un cours de couture commence la semaine prochaine dans notre village", dit-elle. "Ce sont Selvarajah et quelques autres jeunes du village qui en ont eu l'idée. Je crois que Selvarajah travaille à la ville dans un centre culturel où l'on organise aussi de tels cours. Il dit que s'il y a assez de femmes intéressées, on pourra nous envoyer une personne qui apprendra comment coudre des robes et décorer des saris". Comme papa se tait, elle continue : "Je pensais que cela serait bien pour Seroja. Et nous pourrions faire des économies si elle cousait elle-même les habits des enfants." Elle regarde le bâton où pendent les vêtements. Je vois mon père froncer les sourcils : "Tu ne veux quand même pas que Serojah traverse le village en pleine nuit? Il n'en est pas question. Le soir, une femme reste à la maison." Maman semble avoir prévu la réponse : "Kumar pourrait l'y amener et aller la rechercher", dit-elle. Papa n'a sans doute pas envie de se disputer ce soir. Saroja jubile lorsqu'il finit par accepter.
Quelques jours plus tard, j'accompagne à la ville Saroja qui veut acheter du fil et des tissus pour le cours de couture. Je ne sais où donner de la tête tant il y a à regarder : des magasins, à droite comme à gauche de la rue, des vitrines bariolées... Nous n'allons que rarement en ville car le bus est trop cher. Des voitures klaxonnent de partout, des restaurants laissent échapper des odeurs délicieuses et les rues sont remplies d'étalages de fruits et de légumes. Nous regardons longtemps une vitrine pleine de radions très chères, mais nous ne pourrons jamais nous en offrir une!
Ce n'est qu'en fin d'après-midi que nous retournons vers l'arrêt de bus. Il y a déjà plein de monde bien qu'il ne parte que dans une demi-heure. Il reste en place tout au fond ; Saroja me prend sur les genoux.
Elle achète tout un sachet de cacahuètes, j'adore ça! Quand le bus part enfin, je ne peux même pas regarder par la fenêtre tant il est plein.
Il fait si chaud que la sueur me coule de partout. Je suis fatiguée et m'endors très vite. Mais je me réveille en sursaut car Saroja est en train de dire d'une voix forte : "Nous avons autant payé que vous et nous resterons assis!" Une femme cinghalaise est devant nous. Elle ordonne de nouveau à Saroja de lui laisser sa place et essaie même de nous pousser de notre siège. Les passagers du bus nous regardent. La femme s'énerve et Saroja répond en criant de plus en plus fort. Elle me tient solidement et je remarque qu'elle tremble, mais elle ne se lève pas. Finalement le contrôleur vient vers nous et demande à la dame d'attendre qu'une place se libère. Les gens chuchotent autour de nous. J'entends dire : "Sales Tamouls! Un jour, on vous aura!" Un jeune Cinghalais en tenue d'écolier me regarde avec mépris. Certains ricanent ; d'autres fixent leurs mains. Je me retourne vers Seetha : elle est assise sans bouger et regarde droit devant elle. Une larme coule lentement sur sa joue gauche.
"Seetha, pourquoi est-ce si terrible d'être Tamoul?" demandai-je plus tard à mon amie. Elle me regarde étonnée. Je lui raconte alors ce qui nous est arrivé dans le bus. "Mon père dit qu'en fait, ce n'est pas grave. Certains Cinghalais disent juste que le Sri Lanka leur appartient et que nous n'avons rien à y faire. Ils nous harcèlent et nous reprochent de leur prendre leurs emplois" "Est-ce que c'est vrai?" "Papa dit que c'est absurde, qu'il aimerait bien vivre en paix avec les Cinghalais et que s'ils nous voyaient vivre et savaient pour quel salaire de misère nous devons travailler, ils ne parleraient pas ainsi." Je regarde Seetha avec étonnement : elle en sait déjà beaucoup. Moi, je ne sais pas grand chose sur les Cinghalais, si ce n'est qu'on nous dit à l'école que la plupart des habitants du Sri Lanka sont Cinghalais.
Ils parlent une autre langue que nous. Ils osnt bouddhistes alors que nous, Tamouls, sommes hindous. Les hommes et les femmes du gouvernement sont tous cinghalais.
Quelques jours ont passé. Le cours de couture de Saroja a commencé ; tous les enfants mais aussi quelques adultes sont allés l'observer par-dessus le petit mur du temple. La dame de la ville a montré les tissus brodés et a expliqué les premiers points. Certaines femmes étaient toutes confuses quand on leur a demandé d'essayer elles-mêmes. Tout d'abord, elles n'osaient pas, mais au bout d'une heure, chacune avait son ouvrage. Elles se sont même toutes mises à chanter!
"Tu as marché sur le trait! A la suivante!" Nous jouons à la marelle. C'est mon tour ; j'essaie de pousser la pierre sans marcher sur le trait lorsque j'entends Seetha me crier : "Puspurani! Viens vite! Il y a du nouveau!" Peu après, tout le monde est au courant. Le père de Seetha a obtenu l'autorisation d'émigrer en Inde, ainsi que trois autres familles du village. Ils devraient déjà partir dans quelsques semaines.
Plus tard, en faisant la vaisselle, je demande à Seetha : "Que ferez-vous en Inde? Où irez-vous?" "Papa dit que c'est mieux de rester ici. Il veut chercher du travail dans une plantation de thé. Il dit qu'en Inde, nous serons en sûreté". J'ai vraiment du mal à imaginer que Seetha puisse un jour ne plus être là.
Le temps passe trop vite jusqu'au départ de Seetha. Chaque fois que nous faisons quelque chose ensemble, je ne peux m'empêcher de penser que ce sera bientôt la dernière fois et que nous n'irons plus à l'école, ne jouerons plus à la marelle ou ne ferons plus la vaisselle ensemble.
Le jour est venu. Nous sommes sur le quai de la gare et attendons le train. Les parents de Seetha ont soigneusement empaqueté leurs affaires : deux gros cartons et un panier. Tout le monde se précipite lorsqu'un train arrive ; plus moyen de voir Seetha. Les gens chargent les bagages et se crient toutes sortes de choses. Maman me tire par la main vers un wagon. Seetha est là avec toute sa famille.
Lorsque le contrôleur siffle le départ du train, maman éclate en sanglots. Elle embrasse la mère de Seetha qui s'est penchée par la fenêtre. Le train se met doucemnt en marche. Papa sert encore la main du père de Seetha, ne veut plus la lâcher. Je crie à Seetha : "Bonne chance en Inde!" Mais elle ne peut plus m'entendre. Je lui fais encore des signes alors qu'on ne peut déjà plus voir le train.
"J'ai une surprise!" dit Saroja un soir. "Dans trois semaine, à la fête de la nouvelle année, notre groupe de couture va présenter une danse. Tous les villages des plantations de la région sont invités. Vous viendrez aussi?" Le temps a vite passé. Nous sommes partis très tôt avec le bus. Le centre où travaille Selvarajah est déjà plein de monde. Il y a aussi beaucoup d'enfants. Comme j'aurais aussi aimé que Seetha soit là!
Un homme fait un discours. "Il y a maintenant des cours dans beaucoup de villages.", dit-il. "Des cours de couture, de danse, de lecture et d'écriture, des cours pour apprendre à se soigner et des cours de cinghalais pour ceux qui veulent l'apprendre. Il existe aussi des groupes d'artisanat et de théâtre. Je suis très heureux que cela marche si fort."
Il dit ensuite qu'il y a chaque jour plus de Tamouls qui veulent émigrer en Inde car les attaques contre eux se multiplient. "Il semble que c'est un choix libre, dit-il, mais en réalité, on a cherche à nous faire quitter notre pays." Il ajoute que nous avons tous le droit de rester ici au Sri Lanka et d'y vivre et travailler en paix, et qu'on devrait lutter pour défendre ce droit. La salle est tellement silencieuse qu'on entendrait voler une mouche.
Plus tard, on nous montre des diapositives où l'on voit des familles Tamoules qui ont émigré en Inde. On nous dit qu'il y a longtemps qu'on ne trouve plus d'emploi dans les plantations car les indiens sont déjà trop nombreux à vouloir y travailler.
Nous voyons des enfants qui n'ont pas assez à manger et vivent dans des maisons plus pauvres que les nôtres. On a volé leur argent dès leur arrivée à de nombreuses familles : des escrocs qui promettaient de leur trouver du travail et qu'elles n'ont plus jamais revus. Je pense très fort à Seetha. Son père espérait travailler dans les plantations de thé. Que sont-ils devenus?
Le groupe de couture de notre village monte sur la scène. Saroja danse avec quelques femmes tandis que d'autres chantent et battent des mains. Je ne savais pas qu'elle pouvait si bien danser!
Quelle belle fête! Il fait déjà nuit quand nous repartons pour notre village. Dans le bus qui rebondit sur les trous de la route, j'entends encore la chanson d'une petite fille qui chantait, seule sur scène. Puis je m'endors doucement.
POUR EN SAVOIR PLUS :
Le Sri Lanka :
C'est une île de l'océan indien au sud-est de l'Inde. Jusqu'en 1972, le Sri Lanka s'appelait Ceylan, du nom que les européens lui avaient donné. Sur les quinze millions d'habitants de l'île, trois millions sont des Tamouls.
Avant que les européens ne viennent au Sri Lanka, aucun conflit racial n'opposait les Cinghalais aux Tamouls.
Les euopéens au Sri Lanka :
Les portugais y débarquèrent au XVIème siècle et 130 années plus tard, ce fut le tour des hollandais. Ils voulaient s'enrichir en faisant le commerce de la cannelle et des pierres précieuses. En 1800, les anglais en chassèrent les hollandais. Le commerce du thé leur apporta de grands profits. Ce sont surtout eux qui, par leur politique dans les domaines de l'éducation et de l'économie, jetèrent les bases des conflits raciaux actuels entre cinghalais et tamouls. Ils ne quittèrent le pays qu'en 1948. Le Sri Lanka est depuis une république indépendante. On y trouve aujourd'hui de nombreux touristes européens. Les guides touristiques conseillent de toujours avoir en poche des bonbons et menues pièces pour dispercer enfants et mendiants! Des entreprises européennes y ouvrent des usines car la main d'oeuvre y est moins chère. Les bénéficies qu'ils tirent de ces différences de salaires ne profitent en rien aux sri lankais.
Colombo :
Elle est, avec un million et demi d'habitants, la capitale du Sri Lanka. En 1983, on y incendia presque tous les immeubles et magasins possédés par des tamouls.
Economie :
Autrefois, les habitants du Sri Lanka vivaient plutôt bien de ce qu'ils produisaient. En raison de la monoculture et de la destruction des anciens systèmes d'irrigation par les européens, le Sri Lanka doit maintenant importer du riz de l'étranger et le financer par les ventes de thé. Le gouvernement engloutit cependant de très grandes sommes dans l'armement, des dépenses somptuaires et la contruction du barrage géant de Malaweli. Il aurait bien plus économique de restaurer les réservoirs existants et d'assurer l'autosubsistance en produits alimentaires.
Les Cinghalais :
Ils vinrent d'Inde vers 500 av. J.C., colonisèrent l'île et représentent maintenant 70% de la population. Ils parlent le cinghalais et sont de religion bouddhiste. Beaucoup sont très pauvres et doivent durement travailler dans les rizières et les plantations de canne à sucre.
Les cinghalais qui siègent au gouvernement se préoccupent peu du sort des populations rurales, qu'elles soient cinghalaises ou tamoules. Les paysans cinghalais connaissent mal les tamouls vivant dans les plantations de thé ; beaucoup crient qu'ils leur prennent leurs emplois et sont plus riches qu'eux.
Les tamouls :
Ils sont venus du sud de l'Inde pour s'installer au Sri Lanka et forment une communauté de trois millions de personnes environ. Ceux qeu l'on appelle "les tamouls indiens" (environ 1,4 millions) furent introduits par les anglais en quête de main d'oeuvre à bon marché. Ils n'ont aujourd'hui encore pas le droit de travailler en dehors des plantations de thé. Les tamouls n'ont pratiquement aucun contact avec les cinghalais. Ils parlent le tamoul et sont de religion hindoue. Dans le nord de l'île, environ 1,6 million de "tamouls ceylanais" vivent dans la région de leur capitale Jaffna. Ils sont arrivés au Sri Lanke en même temps que les cinghalais, il y a plus de deux mille ans. Face aux mauvais traitements imposés par le gouvernement cinghalais, les tamouls ceylanais revendiquent un état tamoul indépendant sur le territoir du Sri Lanka et qui s'appellerait "Eeam". Depuis la recrudescence des violentes attaques de l'armée et des extrémistes cinghalais, les tamouls travaillent dans les plantations de thé s'associent de plus en plus à la revendication d'un état tamoul indépendant dans le nord est de l'île.
Les tamouls sont de plus en plus menacés dans leur propre pays. Les arrestations arbitraires, la torture et les meurtres se sont généralisés durant les années quatre-vingt. Le parti tamoul, le TULF, est interdit, tout comme nombre de journaux tamouls. Quand au gouvernement cinghalais, il n'entreprends rien pour protéger les tamouls de leurs attaquants. Au contraire, la police et l'armée participent elles-mêmes à ces crimes. C'est pourquoi beaucoup de tamouls fuient le Sri Lanka. Ils recherchent une protection provisoire dans d'autres pays, espérant pouvoir y revenir un jour. La pluspart partent en Inde mais certains viennent se réfugier dans les pays occidentaux et font une demande d'asile. Ces exilés tamouls ont, comme tous les autres exilés, besoin de notre aide et de notre compréhension. Il leur faut des amis, un logement, du travail et le droit de vivre chez nous dignement.
Au Sri Lanka même, certains tamouls ont constitué une "armée de libération", le LTTE (Tigres libérateurs de l'éelam Tamoul) qui a tellement mis en difficulté l'armée sri lankaise que le gouvernement a demandé à l'Inde de lui venir en aide. L'armée indienne est donc intervenue de juillet 1987 à mars 1990. Depuis le départ des 70 000 soldats indiens, les "tigres tamouls" ont réoccupé la place laissée libre mais la politique de "réconciliation nationale" mise en place par le nouveau chef de gouvernement sri lankais, Ranasinghe Premadasa, a permis une trève des combats. "Si la repression reprend, nous n'hésiterons pas à continuer la lutte armée pour assurer l'indépendance et la sécurité à notre peuple" a déclaré récement le chef des "tigres tamouls", Vélupillai Prabhakaran.
Le bouddhisme :
Cette religion est plus ancienne que le christianisme. Presque tous les cinghalais sont bouddhistes. Ils suivent l'enseignement de Bouddha tout comme les chrétiens celui de Jésus-Christ. La doctrine bouddhiste affirme notamment la permanence de la douleur humaine et cherche à la faire cesser par le nirvana.
L'hindouisme :
Proche du bouddhisme, c'est également une religion très ancienne et qui prend son origine en Inde. Presque tous les tamouls du Sri Lanka sont hindous. Les principaux dieux sont Brahma, le créateur du monde, Vishnu qui assur la conservation de l'univers et çiva qui le détruit.
Les plantations :
Il s'agit degrandes exploitations agricoles où l'on ne cultive qu'un seul produit : on trouve dons des plantations de thé, de café, de cacao, de bananes, de caoutchouc, de coton etc. Ce sont les européens qui les ont crées dans le pays que l'on appelle aujourd'hui "en voie de développement". Les habitants de ce pays furent obligés de travailler dans ces plantations pour un salaire de misère, et permirent ainsi à leurs maîtres de s'enrichir. Parfois, les européens allaient chercher une main d'oeuvre supplémentaire en Inde, en Chine ou dans des pays africains. Les produits cultivés dans les plantations tels que le thé, le café, le cacao ou la banane, sont destinés à l'exportation, jamais pour le pays lui-même. Le fait de cultiver toujours le même produit sur le même sol finit par l'apauvrir : il faut donc utiliser de plus en plus d'engrais que le pays doit acheter cher à l'étranger.
Les écoles :
Les enfants tamouls des plantations vont en moyenne de deux à cinq années à l'école. Bien que la loi rende l'école obligatoire, personne ne se soucie de vérifier s'ils suivent vraiment les cours. Les enfants cinghalais et tamouls vont dans des écoles séparées.
La nationalité :
Au Sri Lanka, plus de 500 000 cueilleurs de thé tamouls sont encore sans nationalité. En 1996 fut votée une loi précisant que tous les travailleurs sans nationalité des plantations de thé pouvaient obtenir la nationalité sri lankaise, mais les résultats s'en font encore attendre ; cette nationalité ne protège de toute façon pas les attaques et les poursuites dont ont été victimes les tamouls et qui les poussent à quitter le pays.
Le thé :
Lorsque nous achetons 15 francs un sachet de 100 grammes de thé, le cueilleur sri lankais n'en reçoit que 15 centimes! La différence, soit 99%, est encaissée par de nombreux intermédiaires : l'état du Sri Lanka, les transporteurs, et les compagnies européennes commercialisant le thé. C'est tout aussi vrai du cacao, du café. Ce sont toujours ceux qui travaillent le plus qui gagnent le moins...
Peut-être penserez-vous à Puspurani en buvant votre prochain chocolat, thé ou café. Certains magasins qui essaient d'aider le tiers-monde vendent du thé issu de circuits parallèles de commercialisation : on essaie alors de payer un meilleur prix aux cueilleurs de thé. Une partie du bénéfice est versée à des organisations culturelles du Sri Lanka (telles que le centre où travaille Selvarajdah) qui luttent pour améliorer les conditions de vie des cueilleurs de thé.