LA GRANDE MONTAGNE
LA GRANDE MONTAGNE conte vietnamien adapté par Paul Gil ; ill. de V. Ignatoc Ed. La Farandole, 1960
Il y avait une fois deux frères. Quand leur père mourut, le cadet alla l'enterrer et l'ainé resta à la maison. Il rassembla tous les objets qui s'y trouvaient et les cacha. Le cadet revint, regarda les chambres vides et demanda : - Dis-moi frère ainé, où est passé tout notre bien? Le frère répondit : - Je ne sais pas plus que toi où notre bien est passé.
Le cadet ne souffla mot. Alors l'ainé, encouragé par ce silence dit : - Maintenant, nous n'avons ni père, ni mère. Ils nous ont laissé leur maison. Moi, je suis un homme marié, mais toi, tu es encore jeune, tu n'as pas de femme. C'est pourquoi tu dois t'en aller. Il s'empara de la maison, de tous les champs de riz et de tous les boeufs et ne laissa à son frère qu'un petit champ de maïs, loin du village, au pied d'une grande montagne.
Il lui donnaaussi le vieux chien et le vieux chat. De nouveau, le cadet ne dis rien. Parce qu'un frère doit respecter son ainé. Il s'en fut à son champ de maïs, au pied de la grande montagne. C'était le temps des semailles. Il pensait : "comment vais-je labourer mon champ?" Il réfléchit longtemps, longtemps, sans trouver de solution.
Enfin il décida : "je ne possède aucune bête à part le vieux chien et le vieux chat. Je serai obligé de travailler avec eux. Eux seuls peuvent m'aider!" Il attela le chien et le chat à sa charrue : il aiguillonna le chien et celui-ci aboya bien fort ; il aiguillonna le chat et celui-ci miaula bien fort. Mais la charrue n'avança pas d'un pouce.
La montagne vit comment le cadet essayait de labourer avec son chien et son chat. C'était si drôle qu'elle éclata de rire et sa grande bouche de pierre s'ouvrit largement.
Alors, le cadet aperçut dans les ténèbres d'une grotte profonde un trésor : des monceaux d'argent et d'or. Il bondit dans la grotte, pris une poignée d'or et sortit. La grande montagne cessa de rire et referma sa bouche de pierre. Le cadet détacha son chien et son chat et retourna avec eux au village. Il s'adressa aux meilleurs artisans qui lui batirent une belle et solide maison. Il acheta deux boeufs robustes et un grand champ de riz. Il avait maintenant tout ce qu'il lui fallait pour vivre à l'aise.
Quand l'ainé sut combien le sort de son frère s'était amélioré, son coeur s'emplit d'envie et de haine. Il vint chez le cadet et demanda : - D'où tiens-tu tant de bien : la maison, les boeufs, le champ de riz? Le cadet lui raconta tout sans rien cacher. - Je voulais labourer mon champ de maïs au pied de la grande montagne, dit-il. Mais je n'avais pas de boeufs.
Alors j'ai attelé le chien et le chat et j'ai commencé à travailler avec eu. La montagne l'a vu et elle a éclaté de rire. Elle a ouvert tout grand sa bouche de pierre et m'a montré un trésor dans le fond d'une grotte. Là, j'ai pris une poignée d'or pour construire une maison et acheter tout le reste.
- Pourquoi ne m'as-tu pas appelé quand tu as trouvé le trésor? - Tu habites trop loin. Je n'aurai pas eu le temps de t'avertir. L'ainé, furieux, frappa son frère, lui enleva le vieux chien et le vieux chat et s'en fut. Et, de nouveau, le cadet n'avait soufflé mot. Mais il pensait : "un cadet doit respecter son ainé - c'est vrai. Seulement, l'ainé doit être juste envers son cadet - cela aussi est vrai. Malheur a qui l'oublie!"
Entre temps, l'ainé appela sa femme et ensemble ils gagnèrent le champ de maïs, au pied de la grande montagne. Ils avaient amené avec eux les deux paires de boeufs avec des chariots pour emporter l'argent et l'or. Puis, l'ainé atela le chien et le chat et les aiguillonna. Il battait le chien et celui-ci gémissait plaintivement. Mais la charrue n'avançait pas d'un pouce. La montagne vit comment l'ainé essayait de labourer avec chien et un chat, alors qu'il avait là deux paires de boeufs. Elle ricana tout haut, irritée par la bêtise d cet homme. Sa bouche de pierre s'ouvrit largement et l'or scintilla dans les profondeurs de la grotte.
Oubliant tout le reste, le frère ainé et sa femme se précipitèrent dans la grotte pour ramasser ce trésor. Ils remplirent des sacs et encore des sacs sans jamais en avoir assez. Les voyant si cupides, la grande montagne se fâcha tout à fait. Elle fronça les sourcils avec colère, ses yeux étincelèrent et sa bouche de pierre se serra fortement. La grotte se referma. Et le mauvais frère et sa femme restèrent à l'intérieur. Le matin suivant, le cadet vint au pied de la grande montagne. Il ne trouva là que le vieux chien et le vieux chat, les deux paires de boeufs attelés aux chariots - et de frère point! De nouveau, il ne souffla mot. et qu'aurait-il pu dire, d'ailleurs ? Tout était bien clair. Il n'y avait rien à ajouter.