MEZZALAMA Chiara
CHIARA MEZZALAMA
Traductrice, journaliste, psychothérapeute et écrivaine, Chiara Mezzalama est italienne. Si elle vit aujourd'hui à Paris, elle a beaucoup voyagé en suivant son père, à Téhéran où il était en poste à l'ambassade d'Italie. "LE JARDIN DU DEDANS-DEHORS", illustré par Régis Lejonc et publié aux éditions des éléphants est inspiré de ses souvenirs d'enfance.
1 – On ne peut s’empêcher de faire un rapprochement entre votre parcours personnel et ce récit : existe-t-il des points communs ?
Ce récit est issu d’un roman autobiographique paru en Italie en 2015 avec le titre Il giardino persiano qui raconte notre arrivée à Téhéran en 1981 à la suite de mon père qui avait été nommé ambassadeur d’Italie. Mon expérience d’enfant de diplomate a sans doute influencé mon parcours personnel ; l’habitude au voyage, la découverte de lieux très différents, parfois dépaysant comme était l’Iran à l’époque, être à fois à l’intérieur et à l’extérieur d’un monde inconnu, baigner dans une langue que l’on ne maîtrise pas : j’ai eu envie de raconter tout cela.
2 – Comment êtes-vous venue au métier de psychothérapeute ? Quelle place occupe votre métier d’auteure ?
J’ai toujours été intéressée par la manière dont les individus gèrent leur rapport à la réalité, (le mien n’a jamais été facile), j’étais fascinée par l’interprétation des rêves, mais j’avais aussi besoin de découvrir qui j’étais, de me connaître. L’écriture a toujours eu cette même fonction, en écrivant j’ai l’impression de décrypter ma propre pensée, de chercher une vérité, de m’occuper de mes émotions. Pendant longtemps les deux activités ont évolué ensemble, mais depuis que je suis en France, mon métier d’auteure a pris toute la place. En fait, l’écriture n’est pas un métier, c’est plutôt une posture comme le dit si bien Annie Ernaux.
3 – Pourquoi le choix de vous adresser à de jeunes lecteurs ? (même si ce livre plait autant aux adultes !)
C’est arrivé un peu par hasard, j’ai voulu m’aventurer dans la langue française qui était pour moi avant tout la langue de la lecture. Le français n’est pas ma langue maternelle bien que j’aie fait une partie de mes études à l’école française de Rome, il fallait commencer par quelque chose qui ne soit pas trop long ni trop compliqué. Je suis incapable de traduire moi-même donc j’ai réécrit cette historie en m’adressant à de jeunes lecteurs. Les éditrices ont cru au projet et elles m’ont vraiment soutenue.
4 – « Le jardin du dedans-dehors » est votre premier récit en français. Pourquoi ce choix ; est-ce une approche pour vous différente en français de l’italien ?
Je n’entends pas ma voix quand j’écris en français, c’est un peu comme écrire avec la main droite (je suis gauchère…). Je crois que même ma manière de penser et de voir les choses change d’une langue à l’autre. C’est très intéressant de jongler avec les deux langues, je découvre des mots et des expressions qui n’existent pas en italien (le contraire est vrai aussi) ; la façon dont nous nous exprimons est une autre des choses qui me passionne. Mais l’orthographe française est tellement compliquée, je dois sans cesse me relire, ça m’oblige à faire très attention quand j’écris.
5 – Quels liens gardez-vous avec l’Iran, êtes-vous retournée sur des lieux d’enfance ?
Je ne suis jamais retournée en Iran depuis, mais je suis de près l’actualité du pays et j’ai rencontré beaucoup d’iraniennes et d’iraniens depuis la sortie du roman. J’aurai peut-être bientôt l’occasion d’y aller, étant donné que mon roman vient d’être traduit en persan. Ce serait vraiment une occasion extraordinaire pour moi de redécouvrir ce pays qui a tellement changé depuis les années de la Révolution Islamique .
6 – Le texte et l’illustration ont autant d’importance : comment avez-vous travaillé avec Régis Lejonc ?
Je dois d’abord remercier les éditrices qui ont pensé à Régis Lejonc pour mon texte, ses illustrations sont magnifiques. Nous nous sommes rencontrés une seule fois, je lui ai apporté quelques photos de l’époque et je lui ai raconté un peu dans quelle atmosphère nous vivions mon frère et moi. Pour le reste, c’est lui qui a tout imaginé. Je crois que le fait d’avoir travaillé sur une histoire vraie ait contribué à son inspiration. Le texte et les dessins se sont rencontrés à merveille.
7 – Ce livre aborde, sous un certain angle, l’enfant face au terrorisme, la violence, la guerre… Peu d’ouvrages s’adressent aux enfants de cette manière.Vous qui vivez maintenant à Paris, et avec vos différents regards personnels et professionnels, pouvez-vous imaginer un livre abordant les attentats de Paris ?
Je ne sais pas, il me faut beaucoup de temps et de recul pour élaborer une expérience et pourvoir la raconter. Surtout aux enfants. En plus, nous avons été très touchés par les attentats de Paris parce que nous habitons pas loin des lieux atteints. Nous venions d’arriver en France, ça a été un choc. Mais je crois que ce soit important de s’adresser aux enfants sans leur cacher la vérité ; leurs fantasmes sont souvent bien plus effrayants que la réalité.
8 – La culture iranienne est si riche, mais si peu de livres l’aborde en français pour les enfants : n’êtes- vous pas tentée de vous y consacrer ?
Mon prochain voyage en Iran pourra peut-être m’inspirer… ma créativité part un peu dans tous les sens, je ne sais jamais où elle va. Par contre, il y beaucoup de très belles BD qui racontent l’Iran, ses merveilles et ses horreurs…
9 – Pouvez-vous nous parler de vos projets ?
À propos de BD, je travaille en ce moment avec un dessinateur qui est en train d’illustrer un de mes récits. Ç’est un travail de fou ! J’écris aussi un roman en italien et j’ai quelques idées qui tournent dans ma tête. À voir…
10 – Que vous vient-il à l’esprit, à propos de vos souvenirs d’Iran si je vous propose…
Une couleur : c’est sûrement le turquoise des coupoles des mosquées d’Ispahan et des fontaines aux eaux claires.
Une odeur : en fait il y en a deux ; l’odeur des fleurs du jardin de l’ambassade à Farmanieh et celle de sueur des hommes qui me faisaient peur.
Un goût : c’est celui du pain, le barbari.
Une matière : c’est la boue des petits ruisseaux dans lesquels nous avions l’habitude de jouer et de nous rafraîchir les pieds.
Un son : c’est celui du muezzin qui annonce la prière.