VISIBILITE : ADAPTATIONS, GENRES ET SUPPORTS
QUAND LES FRONTIERES DES SUPPORTS ET DES AGES N’EXISTENT PLUS
Une quantité non négligeable de romans pour ados nous parvient des traductions d’auteurs américains, anglosaxons, ou d’auteurs ayant été traduits en anglais avant de l’être en français. Nous avons tendance à l’oublier d’autant plus que de nombreux auteurs américains d’origine asiatique écrivent pour leur communauté, avec des personnages et un univers très communautariste. Ces livres ont commencé à déferler dans les années 2000. Ils ont pris pour étiquette « young adult ». Mais en France les livres pour la jeunesse sont protégés par une loi très claire en ce qui concerne le contenu des romans. En librairie, comme dans les bibliothèques, ce sont donc essentiellement des livres édités dans des collections pour la jeunesse qui sont proposés, ce qui est fort dommage puisque de nombreux romans de collections « adultes » peuvent convenir aux ados. A Paris les bibliothécaires analysant les romans pour ados le font sur la base de l’édition pour la jeunesse. Seuls des livres de SF, fantazy non ciblés par une étiquette d’âge parviennent à se glisser sur les rayonnages dits pour ados.
La culture woke américaine débarque aussi en France, imposant des sujets jusque là tabous dans la littérature jeunesse. Le manga déferlant, la culture niponne arrive avec ses jeunes filles naïves aux formes généreuses et autres personnages à l’identité plutôt floue. La culture coréenne devient à la mode et les romans de k-pop suivent.
Ainsi, que ce soit par la litérature communautaire américaine, le manga ou le roman de k-pop, les personnages et histoires asiatiques ne manquent pas.
Ce qui change notre regard sur le monde asiatique, c’est aussi l’adaptation des romans en film, puis, petit à petit, les adaptations de manga en animé, puis les nouvelles pratiques de lectures qui font que le roman n’est plus forcément le texte initial : le manga s’adapte en roman, le roman en animé et inversement ; le webtoon impose une nouvelle consommation d’histoires et les supports évoluent.
Les personnages asiatiques sont d’autant plus visibles qu’ils aparaissent physiquement et non plus par des mots.
ADO, YOUNG ADULT, ADULESCENT… LES FRONTIERES DE LA JEUNESSE ET VISIBILITE ASIATIQUE
Les romans dits pour « ados » sont de plus en plus lus par les adultes. Ce n’est pas nouveau : les adaptations de romans en film ont fait connaître aux adultes des séries pour la jeunesse : « Harry Potter », « Divergeante », « Twilight », « Le labyrinthe » par exemple. « Harry Potter » est un cas un peu à part puisque l’écriture, la complexité de l’intrigue évolue à chaque volume : comme les personnages, les lecteurs, grandissent avec Harry.
Nous constatons deux faits :
- Le roman laisse la liberté au jeune lecteur de s’imaginer avec ses acquis, ses connaissances, son âge, la violence, la psychologie des personnages. Il peut aussi s’identifier aux personnages. L’adaptation en film, plus réel, impose des personnages construits, matures, physiquement et intellectuellement et la violence devient plus réelle. La mort, la sexualité sont plus « adultes ».
- Les personnages asiatiques sont plus visibles, physiquement. Minho, l’un des personnages principaux du « Labyrinthe » est présenté comme un jeune et bel asiatique musclé, interprété au cinéma par le coréen Ki Hong Lee. On remarquera aussi que l’un des rares amis humain de Bella dans la série « Twilight » n’est autre que Eric Yorkie, interprété au cinéma par l’américain d’origine coréenne Justin Chon. Cho Chang, interprétée au cinéma par Katie Leung, une britanique d’origine chinoise est la première petite amie de Harry Potter.
Si les personnages asiatiques sont maintenant plus désirables, plus visibles, d’autant que le manga et la k-pop sont à la mode, les éditeurs jouent sur la vague des adaptations amenant un lectorat bien plus large pour proposer des romans « sans » âge.
Au début des années 2020, des romans sont proposés aux prescripteurs de livres, sans en cibler la tranche d’âge : la maquette, l’illustration de couverture, le titre laissent ainsi le lecteur dans le doute.
TROIS NIVEAUX DE LECTURE
Ado, young adult, adulescent, … Nombreux termes pour désigner des romans qui peuvent plaire autant aux grands ados qu’aux jeunes adultes. Mais ce n’est pas le sujet qui défini la tranche d’âge, mais bien l’écriture. Nous pouvons prendre l’exemple de trois romans proposant chacun un lectorat différent. Pourtant les lecteurs ciblés par la maquette ou la communication n’en sont pas forcément les mêmes.
- « My Korean lover » / Maud Parent éd. Hachette
- « La famille Han » / Lee Min Jin éd. Harper Collins
- « Adore » / Agathe Parmentier éd. Au diable vauvert
« My Korean lover » : le titre, l’illustration de la couverture et l’éditeur permettent avant même d’avoir ouvert le livre de comprendre le sujet et le lectorat ciblé. Le roman (en plusieurs volumes) est à l’image des romans d’amour et de k-pop : une jeune femme mal dans sa peau, pas très populaire, manquant d’assurance va par hasard rencontrer l’un des plus célèbres idole. Tout les opposent mais ils vont tomber amoureux. Si dès les premières lignes, la jeune lectrice va pouvoir s’identifier au personnage puisque l’auteur nous invite à entrer dans son intimité, de nouveaux éléments peu habituels dans le roman jeunesse vont aparaitre : l’alcool, la drogue, le sexe. Si nous avons l’impression d’entrer dans un roman pour adulte, il n’en est rien : ces éléments font maintenant parti de l’univers des ados, ou du moins de notre société. Ils ne sont plus épargnés même s’ils ne consomment pas d’alcool, ni de drogue et n’ont pas de relations sexuelles. L’autrice nous présente des personnages plus « réels », sans jamais choquer ni oublier qu’elle peut s’adresser à des ados. Le lectorat adulte lui appréciera et nombre de lectrices sont des adultes.
« La famille Han » Ce roman est intéressant puisqu’il aborde le racisme anti-asiatique. L’illustration de la couverture est assez neutre, pouvant plaire aux ados comme aux adultes. Nous retrouvons un shéma classique de la littérature américaine communautaire : des parents un peu dépassés, deux sœurs radicalement différentes. La plus jeune à laquelle une jeune lectrice pourra s’identifier connaît toutes les problématiques des ados issus de l’immigration. L’histoire de cette famille cependant s’adresse à un lectorat adulte : nous ne sommes plus dans la tête d’une héroïne adolescente mais vivons la complexité de la vie d’une femme -la sœur aînée- arrivée à un âge où elle doit faire des choix, perturbée par des problématiques qui ne concernent pas les plus jeunes lecteurs. C’est un roman qui ne s’adresse donc pas aux ados, pas à la « jeunesse » même si certains pourront le lire avec plaisir.
« Adore » Le titre et l’illustration de couverture peuvent laisser supposer qu’il s’adresse aux ados, jeunes adultes. Le sujet cible directement ce lectorat : il s’agit d’une jeune hokikomori : une japonaise vivant reclus, se coupant du monde, après un début de carrière de k-pop, selon le résumé de la 4ème de couverture. On ne peut pas faire plus « ado ». Pourtant, dès les premières pages, nous comprenons qu’il ne s’agit pas d’un roman pour ado. Le récit est déconstruit, décousu ; l’écriture un peu précieuse, pédante, en décalage avec l’univers et les personnages. Il interessera difficilement les plus jeunes lecteurs.
QUAND LE GENRE REMPLACE L’AGE
Le manga devenu très vite populaire en France propose des histoires très ciblées par genre :
le sexe : manga pour homme, femme, gay…
le sujet : la cuisine, le sport…
Il cible un lectorat très large.
Comme pour le roman, le manga a été adapté, en bd, animé, roman, film… L’univers japonais n’a pas les mêmes codes que la littérature jeunesse française. Si l’on prend un manga « neutre » pouvant plaire à tous âges comme « «Food wars ! » ayant pour sujet unique la cuisine, il est considéré comme un shônen (manga pour garçon) : un shênen véhicule des valeurs comme le dépassement de soi, l’amitié, la justice, la bravoure, avec de l’action… Mais comme souvent dans le manga, nous trouvons des jeune filles aux formes généreuses, des jeunes garçons effeminés presque nus, des expressions proches de l’orgasme sexuel lorsqu’une jeune femme goûte un très bon plat. C’est donc plus un sujet qu’un « niveau d’âge » qui attirera le lecteur.
Roman, manga ou animé ?
Certaines séries sont célèbres dans différents médias : « Les carnets de l’apothicaire » est aussi connu en roman, manga et animé. Il sera lu ou vu par un jeune ou un adulte, selon le support qu’il préfèrera. Nombreux adultes ont connu « Harry Potter » en film avant de le découvrir en livre.
De même, de nombreux romans adultes ont été adaptés en roman graphique ou en film : nombreux collégiens se sont heurtés au « Le vieil homme et la mer » d’Hemingway ou des adultes à « La montagne magique »de T. Mann. Même si le roman graphique ne remplace pas le roman, il le rend plus accessible.
Certains auteurs ont adapté leur bd au cinéma comme Jun Jung-sik avec « couleur de peau : miel » ; Kang Full a connu le succès avec le webtoon, lu par des millions de personnes sur le web, puis le manhwa (manga coréen) qui sera adapté au théâtre et en film dans lequel il sera aussi acteur (voir interview).
Le livre n’est plus le support initial, le référent. Les œuvres sont adaptées, d’un support à l’autre.
Le manga
Les personnages ont un physique très marqué et des expressions souvent exagérées. Initialement il se lit de droite à gauche. Souvent long, commençant leur vie dans des magazines, en noir et blanc, vendu pas cher, idéal pour être lu dans de longs trajets en métro par exemple. Déclinés en genres, sexe et sujet, chaque épisode est assez long et se concentre sur des détaillées avec des découpages complexes : si le dessin se concentre surtout sur les protagonistes et non sur une décoration, l’action est relativement longue en étant découpée.
Le manhwa (coréen)
Souvent aussi publié en webtoon et en couleur
le manhua (chinois)
se lit de gauche à droite, souvent en couleur peu de traductions
Le webtoon
Beaucoup d’amateurs, les publications en couleur proposent une narration très fluide, rapide mais surtout, la lecture se fait verticalement, sur un support numérique : le lecteur maitrise mieux la rapidité de la lecture qui peut être accompagnée de mini animations ou d’effets sonores. Ils peuvent évoluer aussi selon les commentaires, attentes des lecteurs. Un épisode se lit en quelques minutes.
Le roman graphique
S’il ressemble à une BD, il s’affranchit des codes de lectures par cases, propose souvent des histoires plus « sérieuses », de nombreuses adaptations de romans, généralement bien plus imposant qu’une bd en nombre de pages.
FIDELES ADAPTATIONS ?
Nous constatons aussi certaines dufférences bonnes ou mauvaises entre chaque support pour adapter une histoire.
Le manga permet de séquencer des actions, de les rendre longues, de les suspendre, ce que ne fait que rarement l’animé ; certaines censures peuvent se faire aussi dans l’adaptation en animé. La couleur, la musique ou l’ajout de décors peuvent aussi sensiblement changer le ton, l’histoire : certains studios font une adaptation très proche, d’autres ajoutent leur identité à l’animé. Depuis quelques années, de plus en plus de manga sont adaptés en roman. Une lecture très différente permettant peut-être de développer la psychologie des personnages ; ces adaptations globalement sont bien appréciées.
L’adaptation du roman en animé ou film peut permettre tout comme l’adaptation du manga, d’allonger l’histoire, mais l’adaptation d’un roman sera et restera la vision, la lecture du réalisateur et en aucun cas celle du lecteur.
Si le manga et l’animé nous propose qu’une facette des cultures asiatiques, le roman adapté au cinéma une représentation des communautés asiatiques des Etats-Unis, le cinéma, avec des films non asiatiques, montre des personnages asiatiques et, physiquement, on ne peut que les remarquer.