JOLIVOT, Nicolas
Nicolas Jolivot, artiste plasticien,a commencésa carrière en dessinant les vents lors d’un tour de France à pied, l’année de son diplôme aux Arts décoratifs de Paris. Depuis il a beaucoup voyagé : un an en Guyane, trois étés en Scandinavie, six mois pour découvrir la Chine avec épouse et enfants, une dizaine de séjours au Maroc pendant lesquels il parcourt tout l’Atlas en CitroënAmi 8. Tandis que ses carnets de voyage - superbes - se multiplient, il réalise de nombreux travaux de graphisme et d’illustration, souvent pour des collectivités territoriales, musées et institutions. Créateur de la manifestation « Une semaine enchantée », où des artistes s’exposent dans le Saumurois, il aime s’adonner à l’exploration de nouveaux champs d’expression, dont l’album jeunesse avec Le Calligraphe.
Nicolas Jolivot a également publié Nakoul, on mange à Marrakech et Chifan, mangeons en Chine, aux éditions L'A Part Buissonnière, 2012.
(présentation éditions HongFei cultures)
A propos de "Chine : scènes de la vie quotidienne" / HongFei cultures, 2014
- Comment définissez-vous votre livre "Chine scène de la vie quotidienne"?
C’est un recueil de quelques moments vécus en Chine, dessinés hors carnets, sur place au fur et à mesure du voyage, et parfois au retour d’après ces carnets. Je ne dessine pas suivant mes souvenirs mais je dessine pour me faire des souvenirs.
- Vous ne montrez pas la Chine touristique, ni la Chine fantasmée mais une Chine ressentie ; qu'aimeriez-vous que le lecteur ressente de ce pays qu'il ne connaît pas?
Depuis le retour de mon second séjour de six mois en famille, en 2007, j’ai été frappé de constater que les reportages de nos médias nationaux n’évoquent que les gros problèmes de la Chine, et généralement à l’aune de nos conceptions occidentales du Monde. J’avais envie de mettre une toute petite note un peu plus positive dans ce concert à charge ! Je ne suis pas naïf, je vois où sont les problèmes et j’en parle dans l’ouvrage mais étant de nature plutôt optimisme, il me plaît à penser que beaucoup de Chinois vivent mieux aujourd’hui qu’il y a trente ans. Et puis, au quotidien, Français comme Chinois, nous avons les mêmes préoccupations.
- Les premières pages abordent une image peu glamour du pays : êtes-vous finalement attaché à ces cheminées?
La fumée est un élément caractéristique de la Chine, qu’elle passe par le conduit des cheminées, des tuyaux de poêle, qu’elle sorte des encensoirs ou des restaurants, des cigarettes et des obsèques…
- Ces scènes de la vie quotidienne qui se répètent depuis des dizaines d'années ne sont-elles pas l'identité même chinoise? Pensez-vous pouvoir faire le même inventaire dans dix ans?
Les scènes ne seront pas forcément les mêmes en apparence, elles seront teintées des effets de la mondialisation mais les comportements profonds ne changeront pas du jour au lendemain !
- Vous couvrez plusieurs thématiques : avez-vous des souvenirs difficilement transmissibles?
Ce qui est difficile à transcrire, c’est l’immensité du pays, la longueur des transports, les attentes dans les gares, les journées sans fin des habitants, tout ce qui touche au déroulement du temps.
- Pour tout voyageur en Chine, baroudeur ou rêveur, les toilettes et l'hygiène sont une aventure à elles seules mais elles sont finalement peu présentes : un oubli?
Franchement, j’y ai songé, mais je ne savais pas par quel bout le prendre, surtout graphiquement… preuve peut-être que le sujet est plus tabou chez nous qu’en Chine. Je n’ai pas parlé non plus des crachats qui gèlent instantanément sur les trottoirs l’hiver dans les villes du Nord et qui font des constellations de points brillants par myriades au fil des semaines, ni du manque criant d’aspirateurs dans les hôtels où la moquette est de mise . Il faudrait un tome 2. Vite, faites pression sur l’éditeur !
- Parmi vos souvenirs, si vous deviez retenir... une odeur? une couleur? un bruit? un goût?
- L’odeur tenace du tabac froid mêlée à celle de l’alcool blanc fixée sur la fameuse moquette des chambres d’hôtels. - l’absence de couleur dans la tenue vestimentaire des hommes. - La musique qui prévient du passage des véhicules nettoyant les chaussées à Lanzhou sur l'air de "Jingle bells, jingle bells…" - Bien évidemment celui des nouilles chaudes dans les bols en carton !
- Pouvez-vous nous faire partager le souvenir d'un "détail" de cette vie quotidienne qui vous a particulièrement touché?
Un après-midi, à Beihai, dans le sud, je me suis assis dans une rue tranquille, près d’une école, à l’ombre d’un bauhinia, pour dessiner. En un rien de temps, des vendeurs ambulants avec leurs charrettes de bonbons et de pattes de poules sont venus s’installer à la porte de l’école, puis des centaines d’enfants en uniforme sont sortis, les filles en chemisier blanc et jupe verte si je me souviens bien, presqu’autant de parents à vélo sont apparus, des bus ont stationné au milieu de la rue. Les voitures ont commencé à klaxonner, tout le quartier s’est engorgé. Pendant un quart d’heure, ce fut une cohue totale, chacun essayant de s’extirper comme il le pouvait, les uns passant leurs enfants de bras en bras par dessus les vélos, les voitures grimpant sur les trottoirs… Puis peu à peu, la rue a recouvré sa quiétude, l’air de rien. Et je suis resté assis encore un long moment, toujours au même endroit, seul et totalement sidéré par ce tsunami humain quotidien heureusement sans conséquence.
- Vous voyagez beaucoup : y a t-il des scènes, souvenirs chinois que vous avez retrouvé ailleurs? dans d'autres cultures?
Le plaisir, le bonheur même, de manger bien, beaucoup, et de faire d'un repas au restaurant un moment convivial ou familial, je l'ai retrouvé à Buenos Aires.
- Les illustrations soulignent bien le texte parce qu'elles n'en montrent pas d'avantage : n'avez-vous pas été tenté d'y mêler d'autres techniques d'illustrations qui auraient pu être plus descriptives?
Je ne prends plus de photos depuis longtemps. On est inondé d’images soit disant fidèles. J’essaie plus d’être dans l’évocation que dans la description. Mon propos n’est pas didactique, j’ai juste envie d’emmener les gens ailleurs. (Je rêve de faire des carnets de voyage avec des dessins et des peintures non figuratives, juste la traduction au trait et en couleur de mes impressions sur ce que je vois, restituer l’essence des lieux et des mouvements humains mais je n’ai pas les compétences pour ça.)
- Une idée part-elle d'une illustration ou le texte la précède t-il?
Je passe beaucoup de temps en promenades à l’affût de choses drôles ou étonnantes. Quand ces situations se présentent, il y a parfois un petit déclic en moi qui dit : “ça, ça me plairait bien d’en faire un dessin pour en garder le souvenir”. Les textes viennent après, souvent le soir, pour préciser, remettre dans un contexte. Ce sont des légendes.
- Allez-vous poursuivre vos pérégrinations chinoises? Toujours de la même façon?
J’ai décidé que le séjour en février-mars dernier dans le Gansu et le Xinjiang serait mon dernier déplacement. Il faut savoir terminer son voyage, surtout quand on commence à prendre des habitudes, et puis je n'ai pas l'intention de devenir un “spécialiste” de la Chine. Par contre, j’aimerais beaucoup résider deux ou trois mois à Shanghai pour rester dans la ville et l’observer de très près. Si quelqu'un a un bon plan…
- Comment s'est faite la rencontre avec les éditions HongFei?
- Je ne voyage pas et je ne dessine pas pour faire des livres. Il en sort tant et tant chaque jour qu’un de plus ou un de moins n’a aucune importance. Ce qui m’intéresse, par contre, si livre il doit y avoir, c’est de rencontrer des gens exceptionnels et que ça soit une belle histoire à défendre. J’ai pressenti que ça pourrait se passer ainsi quand j’ai rencontré Chun Liang Yeh dans un petit salon littéraire à Thénac puis Loïc Jacob un peu après. Ils m’apprennent et m'impressionnent beaucoup. Après, faut arrêter de rêver, le livre, comme la boîte de raviolis, c'est fait pour être vendu.
- Le découpage et la mise en page de cet album a beaucoup d'importance pour la lecture de ce livre : était-ce votre proposition de départ?
J’ai réalisé la mise en page puis Hongfei a ajouté les thèmes et les double pages thématiques avec le concours de leur graphiste. Heureusement, car j’ai la fâcheuse habitude de travailler la mise en page au kilomètre à la façon d’un trésorier comptable sans laisser au lecteur la possibilité de reprendre son souffle…
- Comment ont commencé vos séjours en Chine ?
Par un matin clair, au printemps 2005, un ami photographe est venu me voir à la maison. Il partait pour la seconde fois en Chine et m’a proposé de l’accompagner. J’ai répondu : “Chouette idée, je viens !” Je me souviens, c’était dans ma cuisine. Et puis on s'est retrouvé au bord du Fleuve Jaune.
- Avez-vous partagé ces souvenirs avec des chinois? Comment les perçoivent- ils?
Rarement en France. En Chine, avec certains habitants parfois. J’aime beaucoup, et c’est bon signe, la perplexité dans laquelle mes choix de sujet et mes dessins les plongent. C’est pas facile à comprendre pour eux parce que je ne respecte pas leurs codes de la représentation dessinée traditionnelle mais que je m’en inspire pour en faire ma sauce personnelle, parce que c'est leur quotidien donc ils n'y font pas attention, parce que je vais là où ça me plaît d’aller (seul) et non là où il serait normal d’aller (en groupe), que je n’ai aucun compte à rendre, pas d’itinéraire, en somme une indépendance totale. C’est un choc des cultures.
- Vous avez réalisé des carnets de voyage que vous avez présenté lors de plusieurs expositions... avez-vous des projets à venir?
- Je vais continuer cet été mon travail sur la Guyane. Depuis 1993, je dessine et j’écris sur les tribulations d’une famille de réfugiés surinamiens bushinenge Djukas. La presque totalité de mes carnets de voyages en Chine seront publiés par les éditions Elytis à la rentrée. Ça commence à faire beaucoup pour quelqu’un qui prétend ne pas se soucier de publier !