LE DOCUMENTAIRE
QU'EST-CE QU'UN DOCUMENTAIRE ?
Une fiction peut apporter d'avantage de réponses qu'un documentaire. La question n'est pas anodine lorsque l'on parle de la Chine. La Chine vue de France, ou la Chine vue de Chine (voir art. propagande). Notons tout d'abord une problématique matérielle ou plutôt financière liée à de nombreux documentaires, surtout géographiques, à destination de la jeunesse : les crédits photographiques sont chers et le dessin illustre le plus souvent la réalité. Ces illustrateurs pour une partie sont connus pour illustrer des fictions. Nombre d'entre eux dessinent avant tout ce qu'ils voient et non ce que le lecteur devrait voir. Que ce soit une illustration stylisée de Manara, de Fontugne, Thiollier ou un dessin asiatique de Truong, Chen, He, l'imaginaire, la personnalité transforme la réalité (voir art. c'est quoi un chinois?). A cela s'ajoute une influence culturelle mais aussi de mode : les vêtements chinois des années soixante sont très marqués (voir at. vêtement).
Pékin vu par A Rosensthiel
L'autre singularité de la Chine étant d'une part sa grande diversité géographique et humaine, ainsi qu'une histoire notament récente particulière, marquée, comme toujours de ruptures. Géographique d'une part, même en oubliant les frontières politiques hasardeuses, il est très difficile de décrire un pays où l'on rencontre presque tous les climats et milieux connus, une population très hétérogène riche ou très pauvre. Quant à l'histoire la plus récente, elle se caractérise par des contradictions, ruptures difficilement accessibles pour les plus jeunes.
Les médias ont rarement autant parlé de la Chine qu'aujourd'hui. La Chine a beauocup changée en peu de temps. Nous parlons maintenant de chinois continentaux et de chinois d'Outre mer : il n'y a pas une Chine mais plusieurs Chine.
Le documentaire en France (comme la fiction) nous montre quatre Chine :
- Une Chine continentale : figée au XIXème siècle, avec un prolongement sur Mao, mais en aucun cas (à quelques exceptions près) "actuelle"
- Une Chine de France : une iconographie de la Chine très spécifique.
- Une Chine anglosaxone : où il n'est pas question de Chine mais de chinois dans la société.
- Une Chine vue de Chine
De ces quatre points de vues, nous écartons la Chine dans les pays anglosaxons puisque dans l'édition française pour la jeunesse, elle reste anecdotique, n'étant pas une thématique en soit.
Le documentaire présente des caractéristiques historiques, chronologiques et thématiques.
HISTORIQUE :
L'on distingue trois grandes périodes.
Une période DESCRIPTIVE :
Des documentaires qui ne sont pas forcément destiné à la jeunesse avec des récits de missionnaires pour beaucoup, nous présentant une Chine s'ouvrant aux concessions. La Chine est à la fois exotique et très proche. Le documentaire, s'il s'adresse aux enfants utilise le tutoiement ou s'adresse à l'enfant, le prenant à partie.
"Venez avec moi, mes petits amis, dans cette Chine que l'on connait si mal" (J Gauvin "En Chine")
Description appuyée d'une gravure, scène de la vie quotidienne
Il est témoin directe de ce que l'explorateur découvre. Il constate alors que les enfants chinois sont très semblables, ont les mêmes activités. C'est rassurant. Il observe une multitude de détails concernant la vie quotidienne. La proximité géométrique et culturelle de la Chine dépend des échanges politiques et économiques (voir art. "Aller en Chine") Le documentaire, sous forme de récit d'explorateur se veut précis. Ainsi, la visite d'une école apporte des informations sur l'éducation mais aussi sur les vêtements :
"Ces enfants, âgés de sept à dix ans, paraissaient éveillés et fort intelligents ; ils avaient tous la tête nue et rasée, avec une tresse de cheveux ornés de rubans noirs. Leur vêtement est le même que celui des hommes du peuple : un petit pantalon de toile assez large, une blouse grise qui descend plus bas que les genoux et des souliers de feutre à semelles épaisses. Quelques-uns cependant, appartenant à des familles aisées, avaient en outre, une sorte de tunique rouge ou bleue ornée de broderies d'un gracieux effet". (Ed. Larousse : les écoliers des autres pays, 1933).
Cette découverte, appuyée par la fiction (Jules Verne,...), s'accompagne d'un interêt de l'importation de produits alimentaires comme les épices, ou des textiles comme la soie ; si le manuel de géographie de Michelot (1847) ne s'attarde guère sur la géographie du continent, il développe les ressources appréciables pour les européens :
"Dans le nord s'étendent de vastes plaines rendues stériles par la rigueur du froid. Au milieu sont les hautes montagnes dont les sommets sont couverts de glaces éternelles. On y trouve au sud-ouest de grands déserts de sable. On tire de l'Asie des diamants et d'autres pierres fines, du café, du thé, des parfums, de l'indigo, des épices et du vernis, etc... (...) On fabrique en Asie beaucoup de tissus de soie, de coton, des cachemires, de la porcelaine, des lames dites Damas, de l'encre dite de Chine, etc..."
Cette exploration, cette envie de découvrir ne cessera d'interesser le jeune lecteur car plusieurs grandes manifestations seront relatées dans des récits comme "la croisière jaune". La Chine semble alors plus lointaine avec de nombreux obstacles tant physiques avec l'Himalaya, le désert, que politique avec l'U.R.S.S. ou psychologique avec la Grande muraille. Se rendre en Chine (voir art. "Aller en Chine") devient difficile mais aussi fascinant ("Voyage ne transsiberien" A Rosensthiel, 1980). Pour ce qui concerne l'histoire, quelques personnages en rapport avec la Chine marque le documentaire et cet esprit de voyage, de découverte comme Marco Polo ou Gengis Khan.
Deuxième période EDUCATIVE:
La Chine s'est refermée. Paradoxalement, c'est une époque riche en documentation. Que se soit l'édition jeunesse en France qui prend son essort avec plusieurs collections documentaires ou la propagande chinoise arrivant en France, elles ont toutes deux l'objectif d'éduquer le petit lecteur. Si ces livres peuvrent paraitre bien vieux quant à la maquette, ils sont d'une incroyable actualité.
Un repas... photo (Kaiming)
Documentaires français : toujours le soucis de décrire la vie en Chine avec une présentation moderne de photographies. PEMF avec sa "Bibliothèque de Travail" (BT) nous invite dans le quotidien de la famille Tchen Lo-Ming (n°441/1959 et 457/1960). Certes, avec des descriptions plus hasardeuses... :
"Voici la famille Tchen à table. Il ne manque que Petit Tchen. Comme tu vois, les chinois ont les yeux un peu tirés. Leur peau est comme celle des gens de chez nous qui ont la peau jaune. Mais comme Tchen Lo-Ming a les joues rosées, on ne voit guère qu'il est de race jaune (...)".
Avec BT2, un peu plus tard, en 1984, l'on aborde la problématique ville-campagne ("La vie quotidienne en Chine Populaire"). Fernand Nathan avec la collection "les enfants du monde", nous fait partager la vie de "Kaiming le petit pêcheur chinois", toujours en photographies. Nous visitons la Chine comme les touristes du XXIème siècle avec Pierre et Françoise mais en 1965...
Les chinois quant à eux, nous livrent, notament aux éditions en langues étrangères, des documentaires sur les sciences naturelles et techniques. Leur particularité étant la manière ludique et donc facile pour les enfants de les appréhender : un texte court et rythmé, voir répétitif :
"L'orange qu'elle est belle!
Gardons ses graines et plantons-les,
Tendres pousses et feuilles vertes grandiront,
Bientôt, nous ceuillerons le fruit que nous aimons"
("La fête des navets", 1965)
Notons que la langue chinoise aime l'harmonie dans ses caractères et que l'on en ajoute parfois uniquement pour équilibrer la sonorité de la phrase. L'illustration présente aussi la particularité d'inverser les proportions ainsi les fruits et légumes dans ce livre sont beaucoup plus gros que les enfants. Le texte est souvent poétique, ainsi, pour les travaux agricole :
"Le repiquage :
Quand au printemps le soleil nous sourit,
les paysans vont repiquer le riz.
Ils repiquent les plants,
rang par rang.
Les champs se couvrent d'un tapis verdoyant."
("Fleurs de prunier", 1962)
Les meilleurs documentaires sont peut-être ceux abordant les techniques, comme l'utilisation de l'air ("L'air au travail"/Li Ping, 1980). Mais il aborde souvent l'éducation de l'enfant comme l'hygiène. Avec "Je suis de service aujourd'hui" (Liang Y, langues étrangères, 1966), se laver les mains prend une allure militaire et cela dérape franchement dans la fantaisie avec les soins dentaires ("Fang Fang se fait soigner les dents" Cheng Y Des enfants, 1980)... La particularité des documents chinois, que ce soit des contes, albums ou documentaires, est de mettre en avant les différentes ethnies, même dans des situations peu appropriées, comme dans "Les sports en Chine" (Liu P C, langues étrangères, 1978).
Grâce à l'air, le bateau se propulse à une grande vitesse...
cours d'hygiène : inspection de mains propres...
cours d'hygiène de la brosse à dents...
partie de ping-pong très ethnique...
Le documentaire se retrouve même sous forme d'album : chinois, comme "au zoo" (Lin S Langues étrangères,1980) qui s'apparente à un imagier ou occidental avec "Au bord du Yang-Tsé Kiang" de Svend Otto S (Père Castor, 1982) relatant l'évacuation d'un village suite au débordement du fleuve. C'est une belle présentation de la vie d'un village.
Troisième période RECREATIVE:.
Depuis la fin des années quatre-vingt, la Chine s'est ouverte largement aux touristes, aux échanges. Les médias, l'édition ont évolués, la Chine s'est modernisée, les chinois ont émigré. Rarement nous avons autant parlé de la Chine qu'aujourd'hui. Jamais nous n'avons eu autant accès aux connaissances et aux moyens techniques de les diffuser.
Pourtant, ce n'est pas une offre d'informations sur la Chine que nous présente le documentaire mais une réponse à nos demandes, à nos attentes.
La Chine est toujours exotique, mais les chinois font partie de notre société et nous sommes habitués aux commerces chinois en France. Nous connaissons mieux la culture chinoise, participant aux fêtes du Nouvel An. A l'image des fictions, nous voulons "consommer" de la Chine : faire de la cuisine chinoise, construire un cerf-volant, calligraphier, se vêtir d'une belle robe en soie... C'est un exotisme facile d'accès, du rêve à la portée de tous.
Le documentaire est fédéré par une thématique festive : cerf-volants, cuisine, écriture, panda, arts martiaux,... Lisa Bresner proposait des livres permettant d'apprendre en quelques minutes à écrire en chinois. Le livre s'étant démocratisé, le libraire devenant vendeur et le bibliothécaire gestionnaire, le lecteur consommateur, le livre est de plus en plus un outil, de moins en moins un auteur pour les fictions ou une reflexion, une analyse pour le documentaire. A l'exemple de la presse en ligne, le lecteur a besoin d'infromations concises, et attend qu'il réponde à ses attentes.
CHRONOLOGIE ET THEMATIQUE :
Le documentaire sur la Chine pour enfants ne peut aborder toute l'hitoire de ce pays. S'ils résument l'histoire ce sont les mêmes périodes qui sont les plus développées : le Premier empereur auquel est associé la célèbre armée de terre cuite, la période de Qi Jiguang, pour le développement des armées, des stratèges, la fascinante bureaucratie ayant inspiré les romans historique (comme la série du juge Ti),. Puis le XVIème pour la découverte par Marco Polo, enfin les concessions du début XXème et Mao. Ce sont des constructions (armée de terre cuite, grande muraille, cité interdite et maintenant les barrages) marquant l'histoire de Chine, de même que des aventuriers comme Marco Polo ou Gengis Khan. La période moderne étant la plus développée.
Mais cette vision chronologique de l'histoire évolue aussi. Si les thèmes abordés sont assez représentatifs du documentaire, l'interpétation change avec notre perception du pays. Un exemple : dans "La Chine ancienne" (Gamma, 1979) la ville est illustrée par une photograhie de pagode, ainsi qu'un grand dessin représentant une rue grouillante et bruyante très animée. Dans "Vivre comme...les chinois" (de la Martinière, 1999), le titre même est trompeur : il faut lire le complément d'information pour comprendre qu'il s'agit de la Chine ancienne... La ville est représentée par une pagode non réelle mais peinte sur un rouleau plus "exotique", également par une photographie du Potola au Tibet. Une activité est même proposée pour réaliser une pagode en carton.
Alors que les documentaires plus anciens apportent des informations historiques, les documentaires récents apportent en plus une thématique festive. Ainsi, presque toutes les rubriques nous renvoies à une activité de loisirs : arts martiaux, porcelaine, dragon, calligraphie, peinture... "Mort et funérailles" faisant l'objet d'une rubrique dans le premier livre cité a disparu dans le second...
DOCUMENTAIRE PAPIER, DOCUMENTAIRE EN LIGNE
C'est une évolution perceptible du documentaire. Le livre doit être beau ou faire rêver. A l'image du "QUID" devenu consultable uniquement sur le web, l'on s'informe d'avantage sur internet, ou via un cdrom pour obtenir des informations, surtout d'actualité. D'où la mention "Avec liens internet" sur la couverture de certains documentaires...
LA CHINE AUJOURD'HUI ?
Une grande muraille se vend mieux qu'une tour de Shanghaï polluée. Un empereur fait d'avantage rêver que le président chinois. Pourtant, la réalité ne cesse d'occuper l'actualité dans les médias : immigration, sans-papiers, délocalisations d'entreprises, produits de mauvaise qualité, pollution,...
Hormis les éditions PEMF (encore), voici ce que nous propose les éditions les plus récentes, autres que les documentaires historiques :
Dans le gros pavé de Milan paru en 2005 (les encyclopes), une double page sur la réforme de Deng Xiaoping (1978), pour la rubrique "Chine nouvelle"... Le reste apporte par petites touches des informations sur la pollution, les zones économiques mais c'est essentiellement une Chine révolue qui est traitée. "Les enfants d'ailleurs" chez La Martinière nous présente la vie de trois enfants de manière assez caricaturale, avec une partie historique. Difficile de se faire une idée de la Chine d'aujourd'hui... "Petite Wang et son amie" (Thiollier A Messidore, La Farandole, 1982), sous forme de bande dessinée, nous relate la vie quotidienne... mais en 1981.
"Ma vie à Pékin au fil des mois" de He Zhihong (Syros, 2003) est plus actuel mais ce sont uniquement des dessins. Pour chaque thématique (repas, école,...), des informations sur les traditions sont apportées. Ainsi, l'inévitable cerf-volant flotte, non pas au-desssu d'un énorme périphérique mais d'une rue d'un autre âge... même si les informations sont justes, elles ne sont là encore que "festives", bien qu'un fast-food représenté, avec en fond, de discrets immeubles!
Nous pouvons imaginer ce qu'un "missionaire" ou un explorateur nous relaterai aujourd'hui !
Le documentaire apporte donc des informations sur la spécificité, l'identité propre du pays (voir art. "C'est quoi un chinois?") : ainsi He Zihong nous livre des détails très justes de la vie actuelle mais uniquement en rapport avec des critères occidentaux.
L'ABSENCE DE VILLE
C'est pourtant un sujet récurent, fascinant même. Pourtant, même si elle apparait timidement dans les albums (voir art. "La maison"), elle a une image négative.
La ville est représentée surtout par une avalanche de néons et d'inscriptions écrasant même le flot de véhicules...
Hong Kong, la ville moderne connue pour ses tours n'est pas vraiment considérée comme "chinoise"...
Dans les albums de la deuxième moitié du XXème siècle, alors que la ville explose dans le monde occidental, elle n'est pas perçue comme un signe de modernité pour les chinois.Maintenant qu'elle dévore la Chine, elle brise le rêve exotique que l'occidental s'est forgé avec les les récits d'exploration, les albums chinois et les migrants apportant avec eux, cette image qu'ils ont su adapter pour la vendre, à l'idée du client dans le restaurant chinois parisien, par exemple. Bien que cette ville n'ai rien de comparable avec nos cités, bien qu'elles soient l'héroïne de nombreux films ou livres pour adultes, elle n'a pas sa place pour l'instant dans des livres pour enfants choisis par des adultes nostalgiques. La fiction étant en avance sur le documentaire grâce aux nombreuses traductions anglosaxones (voir art. "c'est quoi un chinois?"), nous constatons que le chinois anglo-saxon est anglo-saxon, le chinois de France, encore un chinois d'une autre époque. Lorsque le français d'origine chinoise ne sera plus qu'un français dans la fiction, la vision de la Chine changera, le cerf-vlant continura à voler mais cette fois-ci entre deux tours, derrière un périphérique.
Une représentation de Pékin dans un récent documentaire...
L'image de la Chine est en rapport à l'image de la communauté chinoise de France.
Cela commence par la reconnaissance de l'existance de la communauté chinoise en France. Jusque là presque tabou bien qu'elle soit ancienne et ayant une image assez positive, nous commençons tout juste à en prendre conscience avec "Enfants d'ici, parents d'ailleurs" (Carole Saturno, Gallimard, 2005). Parmi l'histoire de l'immigration, le portrait de Brigitte, une jeune chinoise de Paris (représentée avec un bol de nouilles). Curieusement, cette chinoise représente la rubrique "asiatique" avec comme dates : 1975-2000... .
En attendant, l'album de fiction comme "Le petit lion de pierre" (voir art. "la maison") est un excellent documentaire!