LE PETIT ELEPHANT
"LE PETIT ELEPHANT" / texte Paulette Falconnet ; ill. Ylla Ed. La Guilde du livre (Lausanne), 1955
Quand le petit éléphant est né, il a d'abord demandé à quoi servait son nez. On lui a répondu : "C'est très compliqué" Ensuite il a dit : "Qu'est-ce que je vais manger?" "De l'herbe et des fruits, des jours et des nuits, du lait pour aujourd'hui... Et s'il te plait, tiens-toi droit, ne mets pas ton nez dans tes doigts." Il a tout de suite compris qu'il était fils unique. Il s'est assis, n'a plus rien dit et pendant toute sa première journée, il a regardé par côté, dans l'espoir de voir arriver un petit éléphant comme lui, qui serait son ami.
Sa maman était si grande qu'il ne pouvait pas la voir tout entière. Quand il pleuvait, il se cachait dessous, et comme on lui défendait d'aller vers la forêt il jouait à faire semblant d'être perdu dans une clairière où poussaient quatre arbres gris. Il criait : "Je suis prisonnier, celui qui vient me délivrer je lui donne un ananas et deux étoiles et je l'emmène se promener avec moi dans le pays où l'on n'est pas tout seul." Mais ça n'était pas vrai, et jamais personne ne venait. Alors il appuyait sa tête contre la patte de sa maman qui était bien plus douce et bien plus chaude que tous les arbres gris de la forêt, et il s'endormait.
Le matin, pour l'éveiller, il fallait beaucoup le secouer. Si sa maman lui tirait la queue, il était vexé, et il faisait exprès de ne pas bouger. Quand ele lui attrapait la trompe avec sa trompe, il se débattait, et il grognait qu'on l'étouffait. Mais il y avait une chose qu'il aimait, c'était qu'elle le prit tout doux, tout doux, par la patte et par le cou, en l'appelant son éléphantou. Alors, il était si content q'il avait envie de courir et de rire, et qu'il disait : "Sûrement c'est aujourd'hui, que je trouve un ami". Mais sa maman n'avait pas l'air d'y croire, en l'emmenant, le long du chemin, vers le pays des autres éléphants.
Les premiers qu'ils ont rencontrés n'ont pas voulu se déranger pour les saluer. Ils ont dit sans les regarder : "A la porte, les étrangers, à la porte de la forêt, à la porte du ciel et du fleuve."
Et lu, tout seul, se demandait ce qu'il avait fait pour être mis en quarantaine. Il l'a demandé aux cercles de l'eau, à deux poissons bleus, à trois cailloux ronds, à la rive et à la rivière. Il l'a demandé aux oiseaux noyés à des algues rouges, à des serpents d'or tombés du soleil tout près de son oeil. Il l'a demandé dans une caresse à la grande oreille.
C'était un secret que tout le monde savait et que personne ne voulait dire. Quand il s'approchait de ceux qui parlaient, ils avaient une manière de le toiser qui lui faisait baisser la trompe et s'en aller. Quand il essayait de jouer, les autres ne bougeaient pas plus que des rochers. Ils le laissaient passer et sen allaient chanter ensemble une méchante ronde.
"A saute-éléphant tu ne joueras pas, toi tu n'es pas de la rivière. Les vagues y jouent à saute-vague, tu n'es pas invité à la fête. L'eau profonde qui te fait peur, c'est notre lit plein de fraicheur. Bisque, bisque, éléphant, rage. Vas t-en d'ici où tu voudras. Mange ta trompe si tu veux. Nous, nous te montrons la queue."
On sait bien que c'est mal de se battre, mais mettez-vous à sa place. "Bisque, rage, répète un peu. Qui des deux va manger sa trompe? Chacun son tour et les plus gros d'abord." A coups de pattes, à coup de tête, il les a tous laissés à terre.
Mais maintenant que peut-il faire? - Entre les pattes de ta mère, si tu jouais aux arbres gris? - J'ai traversé la clairière et j'ai bien vu qu'ils étaient verts. - Mon éléphant, comme te voilà grand! Vuex-tu sauter, seul avec moi, dans la rivière? - Ne sautent bien que ceux qui sont contents. J'ai trop souffert dans la rivière. - Mon éléphant, comme te voilà grave! - Veux-tu, dis-mo, veux-tu te battre? - C'était toi, tu sais, le plus brave. As-tu vu comme ils ont fui? - C'est un jour triste la bataille, quand on y trouve pas d'amis. - Mon éléphant, comme te voilà sage! Alors dis-moi, que voudrais-tu? - Je veux dormir d'un grand sommeil et m'éveiller au grand soleil. Je veux savoir le grand secret. Je veux trouver les gens qui m'aiment.
Les secrets d'éléphant, la nuit les garde bien. Mais pourquoi a t-il l'air si fier entre son père et sa mère? Qu'a t-il pu dire à la rivière pour qu'elle chavire et se retire avec respect, pour que les arbres devant lui soudain se fassent tout petits?
Que va t-il faire dans cette ville? On dirait qu'il la reconnait. D'où vient qu'on le salue, comme un qui reviendrait? "Ecoutez la grande nouvelle. Le voilà, c'est l'élphant. Vite des sourires et des plats d'argent. Un grand tapis d'or, monsieur le soleil, des bananes au miel et des caramels."
- Seigneur éléphant, où étiez-vous tout ce temps? - Je voyageais mes bons sujets. - Seigneur éléphant quel est cet enfant? - C'est mon fils de la forêt. Dessinez-lui sa couronne, petits hommes, et qu'on peigne aussi la mienne, la plus belle, avec des fleurs sur mon manteau, je veux être en habit de fête.
- Et toi, mon fils, redresse-toi. Oublie tous ceux de la rivière. Il faut apprendre à vivre en roi. - Est-ce qu'il est pour moi, ce trône que tu portes sur ton dos? - Pour toi mon fils, j'ai de plus beaux cadeaux. - Est-elle à moi, cette cloche d'or qui chante quand tu marches? - Tu entendras d'autres chansons. Ecoute un peu celle des hommes.
- Petit éléphant, tu te trompes c'est tout droit la rue de gloire. - Je sais, monsieur, j'y vais, mais en attendant je danse.
Il danse et chante tant qu'à la fin la nuit vient. On lui a préparé un lit de velours gris dans un palais grand comme la lune avec des étoiles à toutes les fenêtres et des soldats à toutes les portes pour le garder des mauvais rêves. Mais lui ne veut pas dormir. Il va courir par la ville et réveiller tous les enfants. Tous ensemble, jusqu'à l'aube, ils jouent à saute-éléphant. Et quand le matin viendra, à chacun d'eux il donnera un ananas et deux étoiles.