ARNAUD, Emmanuel
A propos du livre "TCHIKAN" de Emmanuel Arnaud et Kumi Sasaki aux éditions Thierry Marchaisse
rencontre avec Emmanuel Arnaud
Derniers romans parus : Arthur et moi (Métailié, 2011), Le théorème de Kropst (Métailié, 2012), Topologie de l’amour (Métailié, 2014)
Il connaît très bien le Japon. Il y a vécu et a fait une thèse sur ses réseaux ferroviaires. (sources Ed. T Marchaisse)
Vous pouvez le contacter à l'adresse emmanuelarnaud.contact@gmail.com ou visiter son site: https://emmanuelarnaudblog.wordpress.com.
C’est son histoire qui nous est racontée ici, illustrée de ses propres dessins. (sources éd. T Marchaisse)
Vous pouvez la contacter à l'adresse kumisasaki.contact@gmail.com.
- Vous connaissez bien le Japon, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vos liens avec ce pays?
Le japonais a été ma première langue étrangère au collège à partir de la classe de sixième, au même titre que l’anglais. C’est pourquoi, même si j’ai par la suite suivi des études scientifiques, j’ai toujours conservé un lien étroit avec le Japon.
Plus tard, au cours de mes études, j’ai passé un an et demi en stage au Japon, dans différentes villes et entreprises. C’est véritablement à cette période que j’ai appris la langue japonaise, puisque je devais travailler en japonais avec seulement des Japonais, et c’est aussi à cette période que j’ai vraiment un peu connu la société et la civilisation japonaise.
- Avant de recueillir ce témoignage, comment appréhendiez-vous ce phénomène "Tchikan"?
Je ne connaissais que très peu ce phénomène. J’avais vu certains panneaux dans les rues au Japon, et j’avais surtout été étonné par les fameux « wagons pour femmes » qu’on remarque dans certains trains japonais - mais je n’avais jamais approfondi les réflexions correspondant à ces observations.
En particulier, je ne savais pas du tout ce que les Tchikans, en pratique, faisaient vraiment aux femmes.
- Sujet tabou et pourtant, presque "normalisé" par la société notamment avec le manga. Selon vous, ce phénomène est-il plus médiatisé par le manga, la litérature, qu'avant?
Je pense en effet que récemment, à cause du mouvement « Me Too » en particulier, ce phénomène est peut-être plus médiatisé qu’auparavant. J’ai notamment vu que certaines ambassades étrangères indiquent désormais clairement dans leurs consignes officielles aux voyageurs (ses) au Japon de se méfier des Tchikan.
- Le costume des élèves est un des clichés que l'on a du Japon. Pensez-vous que les comportements évolueraient si ce costume disparaissait, peut-il disparaitre des personnages des manga ?
Je ne pense pas que ce seul changement modifierait drastiquement la situation, mais il est évident que le costume participe de la systématisation du phénomène, parce que la victime est à cause de cet uniforme facilement identifiée comme telle... Kumi me disait que du moment où elle a porté des vêtements plus classiques, et non plus son uniforme de collégienne ou lycéenne (à partir de l’université donc), elle a, comme par hasard, rencontré beaucoup moins de Tchikan sur son chemin.
- Les adolescents semblent à la fois confrontés violament à la sexualité dans leur vie quotidienne alors qu'elle est tabou dans leur éducation. Avec votre regard occidental et connaissance de ce pays, pourquoi selon vous ce vide dans l'éducation, les livres ?
L’expérience de Kumi montre que dans son cas, ce vide était lié à une absence de prise de conscience de ses parents de la réalité de ce qu’étaient les Tchikan, et de la réalité de la menace qu’ils représentaient pour leur fille.
Mais de manière plus générale, je pense que parler de la sexualité au Japon n’est pas une chose facile, alors même que la sexualité est d’une certaine manière en effet extrêmement présente dans la vie quotidienne japonaise. Il s’agit là peut-être d’un sujet plus général lié aux modes de communication entre les personnes dans la société japonaise.
- Comme le souligne Kumi, les garçons semblent peu impactés par ce phénomène. Mais au contraire des salarymen les adolescents semblent très naïfs, peu intéressés par les jeunes femmes si l'on prend un cliché du jeune japonais dans la littérature enfantine. Est-ce vraiment un cliché?
En vérité, nous ne savons pas trop si les garçons sont vraiment peu concernés... Là-encore, le problème, c’est l’absence de statistiques, et même de témoignages.
Je ne pense pas que les jeunes japonais soient peu intéressés par les jeunes femmes. En revanche, leur intérêt peut, il est vrai, se manifester différemment de ce qu’on voit en Europe, et en particulier via des supports plus indirects, ou plus virtuels, comme les mangas ou l’Internet. Cela est peut-être encore lié aux différences de mode de communication entre les hommes et les femmes au Japon et en Europe.
- Ce phénomène est maintenant connu en France, pourtant, alors que les campagnes contre le harcèlement sexuel est pris en compte, notre regard est plus "complaisant" lorsqu'il s'agit du Japon. Notre apréhension est-elle déformée par notre lecture des manga?
Je pense que de manière très générale, le Japon est toujours un peu vu d’Occident comme un objet étrange, obéissant à des règles dont la rationalité parfois nous échappe. Nous sommes dès lors en effet plus enclins à accepter là-bas des choses que nous trouverions inconcevables ici.
Néanmoins, je ne pense pas que les mangas accentuent de beaucoup ce phénomène. Je crois que les mangas sont simplement un canal privilégié par lequel cette étrangeté est la plus facilement appréhendée par certains d’entre nous, les plus jeunes notamment.
- Vous avez écrit et illustré, avec Kumi ce précieux témoignage. Avez-vous pensé à une autre forme de recueil, comme un documentaire, manga...?
Oui, avant de décider de travailler avec les éditions Thierry Marchaisse, nous avions eu des discussions avec certains autres éditeurs, qui souhaitaient privilégier la forme du documentaire – mais ce n’était pas notre volonté. J’ai pour ma part l’intime conviction que la forme romanesque a une force inégalable, y compris sur un sujet comme celui-ci.
Par ailleurs, actuellement, au Japon, des contacts ont été initiés pour étudier, en effet, l’éventualité d’une adaptation du texte en manga.
- Ce témoignage, ou d'autres ont-ils pu se faire entendre au Japon, comment est-il perçu?
Oui, de très nombreux articles ont paru au Japon sur le livre, et ce dans les plus grands journaux nationaux (Mainichi Shinbun, Toyo Keizai, Courrier International Japon, etc.). La télévision japonaise, y compris nationale (NHK), a également consacré plusieurs reportages au livre.
Toutes les chroniques sur le livre sont disponibles sur la page que je dédie au livre sur mon site (https://emmanuelarnaudblog.wordpress.com/).
Ce qui est toutefois intéressant est que certaines personnes japonaises (on le voit notamment dans les commentaires sur les forums) ont perçu ce livre comme une attaque, non pas d’une pratique de harcèlement sexuel au Japon, mais du Japon lui-même ! Cela a fortement ému Kumi, et m’a également beaucoup surpris. Cette réaction, parfois violente, est en effet difficilement compréhensible. - Mais elle exprime aussi à mon sens toute l’acuité du problème encore aujourd’hui, car cette réaction peut s’interpréter comme une réaction de défense.
- Avec cette expérience, avez-vous envie d'explorer, écrire d'avantage sur ce sujet?
Oui, il y a quelques mois de cela, un quotidien japonais nous a d’ailleurs demandé, à Kumi et à moi-même, de tenir dans leur journal une chronique bimensuelle dont le thème serait de comparer, chronique après chronique, la sexualité et les mœurs au Japon et en France – et nous avons accepté. Le premier article de cette série devrait paraitre très prochainement.
Par ailleurs, divers contacts sont en cours en vue d’une traduction du texte, en japonais naturellement, mais aussi possiblement dans d’autres langues - anglais notamment.
- Pouvez-vous nous donner des nouvelles de Kumi?
Kumi va très bien ! Elle est actuellement au Japon.
- Pouvez-vous nous parler de vos projets?
En plus des projets spécifiquement liés aux suite du livre Tchikan, que nous avons déjà évoqués, je travaille plusieurs projets de textes romanesques, à paraître à plus ou moins court terme.
J’avais publié en 2012 un roman sur les classes préparatoires scientifiques aux éditions Métailié appelé « Le théorème de Kropst ». Eh bien, la suite de ce roman va être publiée début 2019. Le titre (encore provisoire) est : « Comment on devient doué en maths ? – Une aventure de Kropst-le-rusé ».
En outre, j’ai commencé il y a quelques mois un nouveau projet de texte de roman, qui m’occupe beaucoup en ce moment. Ce projet en est encore toutefois seulement à ses prémisses, je ne peux donc en dire beaucoup plus à ce stade, si ce n’est qu’il n’est lui non plus pas complètement étranger au Japon !
- Pour vous le Japon c'est, en un mot...
. Une couleur?
Le rouge
. Un son?
Celui du shamisen
. Une odeur?
Celle de l’encens
. Un goût?
Celui de Hitsumabushi (un plat à base d’anguille de la région de Nagoya)
. Une matière?
Celle du tatami