NORIKO LA PETITE JAPONAISE
"NORIKO LA PETITE JAPONAISE" / Dominique Darbois Ed. F Nathan, 1963
Au Japon, cette longue île qui s'étend dans l'océan Pacifique, pas loin de la Chine, on trouve des montagnes pointues, des lacs, des plaines où l'on cultive surtout du riz, des ports d'où les bateaux arrivent de tous les pays du monde et aussi des fleurs merveilleuses et des arbres rares. En aucune contrée, plus qu'au Japon, on n'aime les arbres et les fleurs. On célèbre des fêtes en l'honneur des fleurs. De grandes écoles sont consacrées à l'art de la fleur. Au Japon, une jeune fille ne pourrait pas se marier si elle ne savait bien les soigner et en faire de délicats bouquets. C'est aussi important que d'apprendre à lire, à écrire et à compter.
Les maisons japonaises sont en bois dur de cèdre, de cyprès et de pin, et non pas en pierres. Les japonais sont très adroits. Ils dressent en bois de vastes constructions et fabriquent aussi des objets si petits et pourtant si parfaits qu'il faut les fasçonner et les regarder à la loupe.
L'entrée des maisons est généralement tournée vers le soleil, mais comme il pleut beaucoup au Japon, les toits de tuiles descendent en pente douce comme celles des collines, et dépassent les murs pour laisser couler l'eau.
L'intérieur des maisons est simple et harmonieux. Des cloisons glissent pour séparer les pièces. Aucun encombrement de meubles. Les japonais sont habitués à vivre agenouillés sur des coussins jetés à terre sur des nattes tressées. Noriko, notre petite amie, se plait ainsi sur son coussin et elle s'amuse parfois à jouer du shamisen, cet instrument au mong manche.
Mais dans toutes les maisons s'élève ce que l'on appelle le Tokonoma où l'on dispose un objet précieux.
Noriko a exposé sur le Tokonoma les deux poupées somptueusement habillées car elles représentent l'empereur et l'impératrice.
Naturellement, on ne joue pas avec ces poupées, on les honore. On les montre aux visiteurs. On les garde longtemps, se les passant de mère en fille.
Cette fleur est celle de paulownia. Elle est l'emblême de la famille royale et en forme de petite pyramide.
Noriko a invité aujourd'hui deux amies. Assise sur une natte étalée au jardin, elle prépare les bols de porcelaine aux teintes claires. Mais tout n'est pas en ordre lorsque les petites filles arrivent, et avec elles il faut ordonner le repas et placer méticuleusement chaque objet où il se doit.
Pourtant ne vous y trompez pas. Ce qui se prépare est une dînette de poupée.
Très cérémonieusement, pourtant, en signe de politesse, on s'incline très bas et l'on ne se relève qu'au même moment. Bien entendu les petites filles se sont déchaussées pour monter sur la natte du goûter.
Quand tout est parfaitement installé, l'une des amies tient la poupée et au moyen de baguettes, la seconde offre des bulbes de lotus à la poupée. Très sérieusement, aussi sérieusement que s'il sagissait d'une grande personne. Ensuite, les petites filles boivent le thé vert et mangent les friandisent.
Voici un jeu très amusant. Les cartes ornées de figurines représentent des personnages fameux, des poètes et des poètesses dont l'un est le célèbre Hitomaru. Près de ces figurent débutent des poèmes qui souvent ont été mis en musique. Bien entendu, c'est le joueur qui a l'oeil le plus exercé qui gagne en terminant le poème qu'ensuite il récite.
Les enfants qui ne savent pas encore lire ne jouent pas à ce jeu. Pourtant, comme l'écriture japonaise est pareille à de petits dessins, Noriko a reconnu les cartes très tôt. Actuellement, c'est une grande fille.
Elle va depuis plusieurs années à l'école.
Pour s'y rendre, elle s'habille à l'européenne, encostume bleu à col marin et jupe plissée, comme s'habillent presque toutes les petits filles au Japon. C'est beaucoup moins joli que le kimono, mais plus commode.
Sa mère le matin, place le cartable sur son dos. A l'école, ordonnée et nette comme tout l'est au Japon, le cartable s'accroche près du pupitre.
Dans les temples, presque toujours construits sur une hauteur, la porte ouvrant du côté du soleil, c'est-à-dire au sud, se célèbrent de nombreuses fêtes.
Devant la porte s'élèvent de hautes pierres sculptées, gravées d'inscriptions. Avant d'entrer dans le temple on enlève ses chaussures et on les plac dehors, pointes en avant. Ainsi est la coutume pour pénétrer dans toute maison au Japon. Noriko redescend seule, un peu rêveuse. Sera t-elle assez sage, comme le Dieu le lui recommande? Elle s'efforcera, ainsi qu'on le lui enseigne, d'être bonne, non seulement avec sa famille et avec ses amis mais avec tous les hommes de tous les pays, avec les animaux et tout ce qui vit dans la nature.
C'est l'heure de se rendre au jardin et, avec sa maman, de couper les fleurs qui vont servir à orner la maison. Les tulipes sont ouvertes : il en pousse tant de couleurs qu'il est difficile de choisir. Pour garder au jardin sa beauté, on en cueille le moins possible. Très peu de fleurs suffisent pour dresser un beau vase. Le pique-fleurs empêche qu'elles se plient dans un vase trop grand mais elles peuvent s'incliner gracieusement.
Les vases et les coupes qui servent aux bouquets existent en formes et en matières très différentes. En porcelaine, en bronze. Un bouquet ne doit pas être régulier. Presque toujours on dispose dans les vases trois ou cinq fleurs.
Parfois, on se sert de branches séchées et de brindilles pour composer un ornement décoratif, et l'on niche au milieu une seule fleur fraiche qui parait encore plus belle.
Les rues de Kyoto où habite Noriko sont très gaies même sans réjouissances. Des lanternes de toutes frmes et de toutes couleurs sont accrochées aux maisons. Noriko est contente de les traverser. Elle a rendez-vous avec ses amies pour voir une collection de poupées. Ces poupées très précieuses et très fragiles, en bois peint ou en porcelaine et habillées de soies brochées d'argent ou d'or ne sont pas des jouets. Il faut se contenter de les regarder à travers leurs boites de verre. Leurs robes sont éclatantes comme des jardins au soleil, brodées de pivoines, de branches de cerisiers ou de pruniers.
Ces poupées représentent des personnages de tous les âges. Des guerriers, de nobles samourais, avec leur sabre comme on n'en voit plus que dans les théâtres. Mais certaines sont seulement à l'imitation des petits enfants, avec de bonnes joues rondes, des cheveux plats et des bras tendus. On peut acheter et emporter les poupées qui se trouvent hors des boites.
A certains jours de l'année, la ville devient encore plus gaie. C'est la fête des petites filles. Des banderoles, des lanternes, des inscriptions amusantes sont accrochées aux balcons et ornent les maisons.
Des rondes se forment entre enfants qui se sont déguisés. Des marchands de ballons passent en criant et en agitant des oriflammes. A d'autres dates a lieu la fête des petits garçons.
La grande récompense consiste à assister à des représentations théâtrales. Ce personnage masqué est un puissant génie. Il est plus grand que nature. Pour qu'il ait cet aspect terrible, on a confectionné un mannequin, habillé de rches tissus et o l'a fixé sur un homme par des baguettes et des lanières.
Le théâtre est parfois en plein air. Un arbre sert de décor. Les acteurs racontent des histoires merveilleuses de biches transformées en princesses ou de méchants garçons changés en serpents. D'anciennes pièces relatent les exploits des guerriers. Mais Noriko n'aime pas du tout les histoires qui parlent de batailles.
Avant sa leçon de danse, Noriko se repose un moment sur son coussin. C'est là sa pose favorite.
Son professeur joue du Shamisen et lui enseigne les pas de la danse de la jeune fille aux glycines : Foujimousoumé. C'est une danse lente mais qui suit très exactement le rythme de la musique. La branche fleurie de glycine se tient selon des traditions anciennes.
La danse de l'éventail est difficile car chaque mouvement a une signification. L'éventail sur la tête exprime un autre sentiment que l'éventail grand ouvert devant la ceinture. C'est une danse qui parle.
Un petit garçon dont les parents étaient vieux habitait sur la montagne. Il se nommait Katzuko. Il n'avait jamais vu la mer, jamais vu de lac. Non loin de sa maison, un étang bordé de roseaux était entouré d'une terre si marécageuse qu'on lui défendait de s'y rendre. Un matin, un voyageur arriva qui voulut l'emmener pour lui montrer du pays et l'instruire.Katzuko hésita avant de quitter sa mère, son père et surtout la lune qui venait lui dire bonsoir avant chaque nuit. "La lune, dit l'homme, tu la verras partout où tu seras, et quant à ta mère tu la retrouveras toujours dans ton coeur." Alors Katzuko mit sa main dans celle de l'homme. A la fin du jour ils arrivèrent à un lac et l'homme le laissa pour aller chercher du bois. "Attends-moi ici", fit-il, mais Katzuko approcha de l'eau. Que vit-il ? Un petit garçon vêtu comme lui. Katzuko fit des signes d'amitié et tous deux se saluèrent exactement dans le même temps, selon la coutume. "Approche", semblait dire le petit garçon. Les nénuphars déjà se fermaient pour la nuit. L'eau était froide. Bientôt la figure du petit garçon fut tout près de celle de Katzuko et floc... Les nénuphars poussèrent un cri, croyant que Katzuko allait se noyer. Heureusement l'homme arriva, prit Katzuko par sa culotte et le déposa sur la rive. "Il y avait un mauvais génie qui m'appelait dans l'eau", dit Katzuko. Mais l'homme se mit à rire. "Non... dit-il, aucun génie mais seulement un petit béta qui ne connaissait pas son reflet."
Noriko connait chaque coin de son jardin et chacune des plantes qui le composent. Un jardin japonais est la réduction de tout un univers. Des pierres représentent des montagnes en miniature. Des lacs, de la grandeur de bassines, sont enfoncés de manière à affleurer la terre. Les arbres aux formes compliquées sont des arbres nains, de la hauteur de deux mains. Dans des plats, ces arbres ont quequefois àleurs pieds des rivières minuscules sur lesquelles sont jetés des ponts. Noriko ne négligerait jamais d'arroser son jardin, sauf les jours de pluie.
C'est sa grand-mère qui enseigne à Noriko à jouer du kotto, l'un des instruments les plus courants au Japon. Il est en bois sur lequel sont tendues treize cordes retenues par de petits chevalets. Les ongles qui doivent faire vibrer les cordes sont habillés de petits onglets qui les protègent. Le son du kotto ressemble un peu à celui de la harpe. Lorsque l'on est habitué à la poésie de la musique japonaise, elle semble très jolie et touche le coeur.
Sauriez-vous manger avec des baguettes? Essayez... C'est très difficile. Pourtant, au Japon, il est rare qu'on se serve de cuillers et de fourchettes. La viande, le poisson et les légumes sont coupés par avance en très petits morceaux.
Il ne faut pas oublier le merle dans sa cage. Noriko lui donne des graines et des parcelles de poisson séché. Les oiseaux qui sont les plus courants au Japon sont le merle, le rossignol, la fauvette.
L'écriture japonaise, semblable à des dessins, se trace à l'aide de pinceaux de toutes les grosseurs. L'encre est fabriquée, chaque fois que l'on veut écrire, avec un bâton frotté sur la pierre de l'écritoire, délayée dans de l'eau. Noriko a écrit son nom en français et aussi en japonais. Vous remarquerez que les lettres ne se suvent pas de gauche à droite mais de haut en bas.
Cette table recouverte d'une épaisse couverture est une table-surprise. Si vous enlevez la couverture, vous trouverez un petit poêle chauffé avec de la braise. La couverture ne brûle pas parce que le feu est doux. Mais il suffit à entretenir une chaleur bien agréable en hiver. Grand-mère, pendant que Noriko regarde des images, racommode ou brode.
Noriko assiste au jeu des grandes personnes : le ma-jong, qui vient de Chine. Il se joue un peu comme les dominos mais sur les rectangles d'ivoire ou de jade que de dessins ! des cercles, des bambous et des fleurs.
Avant de se tremper dans cette grande cuve de bois où Grand-mère entretient la chaleur en soufflant sur le feu, Noriko s'est savonnée dans une cuvette et s'est rincée au moyen de petits baquets de bois, afin que l'eau de la cuve reste propre car elle servira à toute la famille.
Ne cherchez pas le lit, il n'existe pas. Du placard a été tiré le matelas sur lequel dort Noriko. A quoi peut-elle bien rêver? Peut-être à une histoire qu'elle a lue. Un pêcheur, Urushima-Taro, rendit à la mer une tortue géante blessée qui se trainait sur le rivage. La tortue le remercia et lui dit : "Monte sur mon dos" Elle l'entraina sous les flots et jusqu'au palais de la filledu roi des mers. En voyant cette ravissante princesse, le jeune homme oublia son pays, sa famille. Il épousa la princesse et fut tès heureux.
Pourtant, au bout d'un temps qui lui parut de quelques mois, il désira revoir sa maison de la terre. La princesse pleura mais lui dit : "Pars et reviens vite. Voici un coffret. Si tu tiens à me revoir, ne l'ouvre jamais." Il promit. Arrivé dans son pays, le jeune homme ne reconnut personne. Tout avait changé. Il demanda où se trouvait la maison d'Urushima-Taro. On rit de lui. "Mais il est mort depuis deux cents ans, sa maison n'existe plus." Bien étonné, le jeune homme se dit que peut-être il comprendrait s'il ouvrait le coffret. Hélas!... Il en sortit une épaisse fumée noire. Urushima-Taro vit ses mains se rider. Ses cheveux étaient devenus blancs, ses membres noueux. C'était un vieil homme. Soudain, il tomba, et mourut. Mais ceci n'était qu'une vieille légende qui enseigne seulement qu'il ne faut jamais manquer à sa parole.
Noriko rêve aussi que bientôt les arbres fruitiers, cerisiers et pruniers, seront couverts de fleurs blanches et roses. En cet honneur, on chantera, on dansera. La nature sera plus belle que le plus riche manteau d'impératrice.
Et cela est vrai