AU BORD DU YANG-TSE KIANG
"AU BORD DU YANG-TSÊ KIANG" / Svend Otto S ; texte français de A M Chapouton Ed. Flammarion (sélection du Père Castor)
Le Fleuve du Yang-Tsê Kiang descend en cascades des montagnes du Tibet. Puis il se calme, il devient sage, large et tranquille. Et quand il a traversé toute la Chine, il se jette dans la mer. Mei Mei et Chang habitent un village perché sur les pentes tout près du Yang-Tsê Kiang.
Ce matin, comme d'habitude, Mei Mei passe prendre Chang pour aller à l'école avec lui. Chang est en retard parce qu'il n'a pas encore enfermé son cochon. - Dépêche-toi! crie la mère de Chang. Le cochon de Chang adore aller en classe. Mais le maître le met toujours à la porte, alors bien sûr...
Comme tous les matins, le chemin est très encombré. Il y a les enfants qui arrivent de tous les côtés, les paysans qui portent leurs légumes au marché. Et aussi les troupeaux de canards qui gênent tout le monde en faisant "coin coin coin" sans se presser. - Attends-moi! crie Mei Mei à Chang. Juste le temps de m'acheter des cacahuètes!
L'école est tout en haut, au-dessus du village. Les enfants grimpent en courant tandis que la cloche sonne.
Mei Mei soupire. Il fait si bon, si chaud dehors. Quelle idée de s'enfermer pour écrire par un jour pareil! D'avoir à tracer soigneusement des caractères chinois sans faire des pâtés, c'est difficile : "Je m'appelle Mei Mei et j'habite au bord du Yang-Tsê Kiang". Heureusement qu'après, il y a la gymnastique pour se détendre.
A midi, Chang et Mei Mei rentrent déjeuner chez eux. En chemin, il y a les odeurs de riz frit, de riz grillé, de riz bouilli, et ça donne faim. Les ouvriers de la fabrique de tracteurs où travaille le père de Chang taquinent les enfants : - Bonjour Mei Mei! Bonjour Chang, alors tu ne te promènes plus avec ton cochon en laisse?
- Non. Le cochon est bien sage, à la maison. Et d'ailleurs, il couine de joie en revoyant Chang. La chaleur d'été pèse sur la vallée. Le buffle chasse mollement les mouches de sa queue. Les cochons grognent, les canards et les poules caquettent. Les oiseaux de Mei Mei eux aussi sont contents de la voir. Elle accroche leur cage à l'ombre. La chaleur est étouffante aujourd'hui. Mei Mei se sent mal à l'aise, elle ne sait pas pourquoi...
Le soir, dans son lit, à l'abri de sa moustiquaire, Mei Mei entend la conversation des parents : - Les pluies sont terribles dans les montagnes. Le fleuve grossit. - A la radio, ils disent qu'il va déborder. - Pa possible, dit grand-père. Pas jusqu'ici! - Si, si! Ils disent que ca va arriver. Le lendemain matin, l'orage éclate. Mei Mei avale sa soupe de riz et court vite chez Chang.
- Chang! Chang! Mes parents disent que le fleuve va déborder, qu'il va monter jusqu'à nous. - Tu crois? Les parents de Chang parlent eux aussi du fleuve. Et tout le monde regarde les passeurs dans leur petit bateau sur le Yang-Ysê Kiang. Le courant est devenu si fort qu'ils arrivent à peine à ramer jusqu'à l'autre rive. Tout le monde est inquiet.
Tout est bizarre en classe ce matin. Le maître a laissé la radio en marche. La musique s'arrête brusquement : "Il faut évacuer les maisons qui sont au bord du fleuve." Les enfants doivent rentrer chez eux. Alors Mei Mei et Chang courent chez eux. Ils aident à emballer le riz et les vêtements, à réunir le bétail. - N'aie pas peur, dit Chang à son petit cochon. Il lui attache les pattes pour l'empêcher de se sauver. Les grands-parents, eux, pensent qu'il n'y a pas de danger.
L'eau commence à monter au village de Mei Mei et Chang. A la radio, on dit que les villages plus haut, le long du fleuve sont déjà innondés. Que les soldats sont venus au secours des habitants. De la maison de Mei Mei, on voit bien que le fleuve approche. - Regarde tous ces gens, crie Mei Mei à Chang. Avec tous ces paquets. Ce sont les réfugiés des autres villages qui commencent à arriver. Les ouvriers de la fabrique descendent aider vers le fleuve.
Le Yang-Tsê Kiang, ce vieil ami paisible, est devenu comme fou. Il est énorme et ses eaux en furie emportent tout ce qu'elles trouvent sur leur passage. Le flueve a pris les maisons et les arbres, il a dévasté les champs, fracassé les barques.
Et maintenant, tout cela défile dans un tourbillon boueux. - Au secours! crient les gens cramponnés sur un toit qui flotte encore. Un cochon terrifié est emporté lui aussi sur une porte de garage. - Tenez bon, on arrive! crient les rameurs.
Les rameurs approchent du toit. Ils sont près maintenant. Ils crient : - Sautez! Sautez vite dans la barque! Les gens sont sauvés. Le cochon lui aussi est hissé dans la barque. Le long du fleuve, les réfugiés passent avec des paquets, des provisions, des animaux. Plus personne n'est resté en arrière : le fleuve a pris les maisons les unes après les autres. Seuls les petits enfants s'amusent.
Chez Mei Mei, l'eau arrive maintenant dans la cour. - Venez, mes jolis, dit Mei Mei en décrochant les cages de ses oiseaux. Les canards, eux, se débrouillent : ils savent nager. Puis elle s'arrête à la maison de Chang : - Vous êtes prêts à partir, vous aussi? - Oui, dit Chang. Nous partirons dès que l'eau arrivera, mais mon père pense qu'elle ne montera pas jusqu'ici.
Le père de Chang finit d'attacher tous les animaux. Les grands-parents voient l'eau monter dans la pièce. - Je n'ai jamais rien vu de pareil! dit le grand-père. Est-ce la fin du monde? Les ouvriers de la fabrique arrivent. - Ils disent qu'il faut partir maintenant, dit la mère de Chang. Nous ne pouvons plus rester ici.
Un ouvrier emporte Grand-mère sur son dos. - Allez, faites-vous légère, Grand-mère, dit-il en riant. Dans le haut du village, on se prépare à accueillir les sans-abri.On dresse des huttes en nattes de bambou. Chaque famille aura un coin à elle.
Adieu les champs de riz, adieu les maisons! Tout a disparu sous l'eau. Il ne reste que de pauvres débris à la surface/
Partout, le courant a ralenti. La grosse colère du Yang-Tsê Kiang est apaisée.
- Ma maison est encore debout! crie Chang. Mais quel nettoyage! Il y a de la boue partout. Chez Mei Mei il ne reste plus rien. Les murs se sont effondrés, le toit a disparu. De grandes fentes s'ouvrent dans le sol. Les gens vont et viennent dans les ruines tristement. Ils ont tout perdu.
Mais un matin, Mei Mei arrive en criant joyeusement : - Chang! On va nous construire des maisons. Des maisons neuves : tout là-haut, loin de ce fou de Yang-Tsê Kiang ; un village tout entier! Les camions arrivent remplis de briques et de bois. Ils font du bruit, de la poussière. On s'attroupe. C'est la joie.
Au travail! Au travail: Il faut décharger des bateaux les sacs de ciment, les planches et des tas d'autres choses. Que de matériaux pour reconstruire un village! Et puis il faut tout monter là-haut, en grimpant le long des pentes boeuses. Pendant ce temps, Mei Mei Chang et les autres enfants travaillent eux aussi.
- Plantons le riz dans la bonne boue apportée par ce fou de Yang-Tsê Kiang, la bonne boue nous donnera du bon riz! Avec le soleil tout se met à pousser, à grandir presque à vue d'oeil. Et les maisons elles aussi, poussent. Ici un toit, ici des murs, là des fenêtres,...
Voici le grand jour. Le jour où le grand lit sculpté, bien réparé, entre dans la maison neuve. Le jour où l'on peut à nouveau accrocher la banderole prote-bonheur près de la porte.Le jour où l'on dit aux grands-parents : - Entrez, entrez, tout est prêt, tout est beau maintenant!
C'est aussi un jour de fête pour le village. Tout le monde est là, car tout le monde a aidé. Les enfants allument des feux d'artifice qui éclatent et qui claquent fort aux oreilles.
Ils font aussi un vrai banquet, avec trente-six plats différents. Du canard comme ci, du canard comme ça, du poisson du fleuve, des nids d'hirondelles, du lotus confit, des pommes sucrées, sans oublier le gâteau qu'on appelle "la barbe de dragon". Et lorsqu'ils ont mangé à s'en tenir les côtes et lorsqu'ils ont essuyé leurs baguettes, ils parlent tous ensemble. Et la mère de Chang demande à Mei Mei : - Tu n'as pas eu trop peur? - Oh, si répond Mie Mei. Surtout quand j'étais dans mon lit et que les parents parlaient. Mais après, il y avait trop à faire. - C'est vrai, dit le père de Mei Mei. Quand on s'entraide, on n'a pas tellement le temps de penser à soi.