UN ETRANGE VOYAGE
"UN ETRANGE VOYAGE" /Conte de Yen Wen-tsing ; adapt. Tchang Tsai-hsiué ; ill. Lieou Ki-yeou. - Ed. en langues étrangères, 1964
Ting-ting était âgé de huit ans et allait à l'école depuis deux ans déjà. C'était une gentille petite fille, d'une timidité extraordinaire.
Trois choses surtout l'effrayaient. Tout d'abord, toute difficulté qu'elle pouvait rencontrer. Par exemple, si elle tombait, elle restait étendue à terre à pleurer tant et plus, au lieu de se relever immédiatement.
Ensuite, elle avait la terreur des fantômes. Croquemitaine, par exemple, personne n'avait jamais vu de croquemitaine, mais Ting-ting en avait terriblement peur!
Et enfin, elle s'effrayait des choses les plus ordinaires, des choses qu'elle voyait chaque jour, les chiens dans la rue, par exemple.
Un matin de bonne heure, elle partait pour l'école, lorsqu'en arrivant au bout de sa rue elle vit un chien qui la regardait. Aussitôt, elle fut convaincue qu'il allait la mordre et elle se mit à glisser lentement le long du mur espérant qu'elle n'attirerait pas ainsi l'attention de l'animal.
Quand le chien l'aperçut, longeant le mur à la dérobée, intrigué, il se mit à aboyer. Cela affola encore plus Ting-ting et elle s'enfuit à toutes jambes. Naturellement le chien se lança à sa poursuite.
Heureusement pour Ting-ting, arriva un laitier qui chassa le chien. Mais la petite fille était si effrayée qu'elle ne voulait plus aller à l'école, car il lui aurait fallu encore passer devant le chien.
Lorsqu'elle rentra chez elle, son papa et sa maman étaient partis à leur travail. Elle s'assit sous un accacia dans le jardin et se mit à songer tristement : "papa va dire que j'ai encore été poltronne?"
Comme elle était assise pensive, elle vit une fourmi qui rempait sur le tronc de l'arbre, en s'arrêtant à chaque instant. "Je me demande pourquoi elle s'arrête, pensa Ting-ting. Peut-être est-elle timide comme moi?"
Alors arriva une chose étrange. Elle entendit distinctement la fourmi chuchoter quelque chose. "Que dites-vous? demanda t-elle. Pourriez-vous parler un peu plus haut, s'il vous plait?"
Elle se pencha plus près et entendit la fourmi crier de toute la force de sa petite voix: "Je suis le petit Sourcils rouges. Je vous demandais pourquoi vous n'étiez pas en classe." "J'ai peur du chien! dit Ting ting. Tout le monde répète que je suis une poltronne. Pouvez-vous me dire pourquoi je suis si poltronne?"
"Non, dit Sourcils rouges, j'en suis bien incapable, mais si vous voulez, je vous mènerai à notre maitre, Monsieur Qui-sait-tout, lui, il pourra vous le dire." "Oh, comme je serais contente! dit Ting-ting. Pouvons-nous y aller tout de suite?"
Sourcils rouges tira un petit chapeau de sa poche et le tendit à Ting-ting. "Vous devez mettre ce chapeau." dit-il. "Mais comment pourrais-je porter un si petit chapeau?" s'étonna Ting-ting.
Sans s'inquiéter de cette question, Sourcils rouges lui jeta le chapeau sur la tête. Alors, une chose étrange se produisit - Ting ting se sentit devenir de plus en plus petite, jusqu'à ce qu'elle ne fût pas plus grande que Sourcils rouges, en fait, juste à la taille exacte pour le chapeau.
A mesure qu'elle rapetissait, chaque chose devenait plus grande : l'herbe aussi, aussi haute que le maïs, le ruisseau, large comme une rivière et un petit monticule de terre, majestueux comme une montagne. Prenant Ting-ting par la main, Sourcils rouges se dépêcha de retourner à la fourmilière pour demander un congé au roi des fourmis.
Plusieurs gardes, de stature imposante, se tenaient à l'entrée de la fourmilière. Ils demandèrent ce que Ting-Ting venait faire en ces lieux. Sur les explications de Sourcils rouges, ils laissèrent pourtant la visiteuse entrer.
Ting-Ting était un peu inquiète : elle craignait que la fourmilière ne soit bien sombre. Mais à sa grande surprise, à l'intérieur il faisait aussi clair qu'en plein jour. Ils suivirent plusieurs rues, toutes fraîchement balayées et bordées de petites cases très propres. Jetant un coup d'oeil à l'intérieur, Ting-Ting pouvait voir les fourmis affairées au travail.
Un peu plus loin, elle vit des fourmis qui transportaient du grain, chacune à son tour chantait tout en travaillant. L'air plut tellement à Ting-Ting qu'elle se mit à fredonner.
Quand vint leur tour, Sourcils rouges ramassa la moitié d'un haricot de soya et l'emporta sur son dos. Ting-Ting voulait prendre un grain de maïs, mais elle hésitait à transporter un fardeau aussi pesant.
Cependant, Sourcils rouges l'aida à le soulever et à le placer sur son dos, et au bout de quatre ou cinq voyages, elle s'y prenait très adroitement. Bien qu'elle se sentit fatiguée elle n'avait plus peur de transporter de lourds fardeaux.
Quand ils eurent terminé, Sourcils rouges mena Ting-ting au roi pour obtenir un congé et demander où pourrait bien être Monsieur Qui-sait-tout. Le roi avait entendu dire que Monsieur Qui-sait-tout s'était endormi dans une coquille de limaçon, juste devant la fourmilière N°9. "Partez vite, dit-il, vous aurez peut-être encore la chance de le trouver".
Ting-Ting suivit Sourcils rouges à travers de nombreuses ruelles tortueuses et finalement ils arrivèrent devant la fourmilière N°9. Là, dans la forêt d'herbes hautes, se trouvait une coquille grise de limaçon.
Sans attendre,Ting-ting s'approcha de la coquille et cria : "S'il vous plait, Monsieur Qui-sait-tout, je voudrais vous poser une question..." Quelque chose remua à l'intérieur de la coquille. "Qui est là?" demanda une voix.
"C'est moi Ting-ting. Je voudrais vous demander comment je pourrais devenir plus courageuse." "Je n'en sais vraiment rien, répondit la voix. Je suis moi-même très timide." Et une tête de limaçon pointa vers l'extérieur.
Ce n'était pas du tout une coquille vide, mais un vrai limaçon. Ting-ting était tellement désappointée qu'elle en était bien près de pleurer. "Ne vous fatiguez pas à parler à ce vieil idiot, dit Sourcils rouges. Allons chercher Monsieur Qui-sait-tout autre part."
Ting-ting emboita de nouveau le pas à Sourcils rouges et bientôt ils découvrirent une autre coquille de limaçon cachée derrière une pierre. De l'intérieur venait un bruit de ronflements.
Cette fois, Ting-ting fut plus prudente, jetant un coup d'oeil dans la coquille, elle vit un vieillard à la barbe blanche profondément endormi. "Ce doit-être Monsieur Qui-sait-tout!" pensa t-elle.
"Maitre, maitre! Réveillez-vous, je vous en prie." cria Ting-ting. Le vieillard se redressa et s'assit sur son séant en baîllant. "Eh bien, jeune fille, dit-il, pourquoi m'avez-vous réveillé?"
Ting-ting le salua gentiment et dit : "Je suis trop timide. Je veux être brave." "Vraiment, je n'aurais pas pensé que vous étiez une poltronne! Bien sûr, comparée à un tigre, on pourrait le croire ; mais vous êtes plus brave qu'une carpe. Enfin, pas plus peureuse qu'un autre enfant." dit le vieillard en se frottant les mains d'un air profond.
"Mais tout le monde dit que je suis une poltronne. Pourquoi dirait-on cela si ce n'était pas vrai?" demanda Ting-ting. "Je crains de ne pouvoir répondre à cela" dit le vieillard. "Mais vous devez le savoir! crièrent Ting-ting et Sourcils rouges, n'êtes-vous pas Monsieur Qui-sait-tout?"
"Oh non! Qui-sait-tout est mon jeune frère! Je suis Qui-sais-très-peu, soupira le vieillard. Nous nous ressemblons beaucoup et on nous confond facilement."
"Savez-vous où se trouve votre frère?" demanda Sourcils rouges. "Demandez au peuplier, dit le vieillard, ses racines sont si longues qu'il est très bien informé."
Ting-ting et Sourcils rouges dirent au revoir au vieillard et trouvèrent bientôt le peuplier. Mais il était presque sourd : aussi Sourcils rouges dut-il grimper jusqu'à son oreille pour lui parler.
"Pourriez-vous nous dire où se trouve Monsieur Qui-sait-tout?" demanda Sourcils rouges. Le peuplier réfléchit un moment avant de répondre : "Oh oui, dit-il, mes racines me disent qu'il est de l'autre côté du fleuve."
"Ting-ting et Sourcils rouges remercièrent le vieux peuplier et coururent vers le bord du fleuve. Il y avait une grande distance jusqu'à l'autre rive et l'eau était profonde. On n'apercevait ni pont ni bateau. Ils s'assirent au bord de l'eau, se demandèrent comment traverser. Comme Ting-ting soupirait, la rivière murmura une petite chanson.
Ils obéirent aux paroles de la chanson et vite trainèrent une feuille jusqu'au bord de l'eau.
Ils eurent juste le temps d'embarquer et le vent poussa la feuille sur l'eau.
La feuille s'inclinait dangeureusement et Ting-ting était terrifiée. Soudain une feuille les submergea et les jeta par-dessus bord. "Au secours! Au secours!" crièrent-ils, luttant pour se maintenir à la surface des flots. Par bonheur, une libellule entendit leurs appels et vint à leur secours.
La libellule se posa tout doucement sur l'eau comme un hydravion et Ting-ting et Sourcils rouges purent s'accrocher à ses pattes.
La libellule s'envola dans les airs et bientôt les déposa sains et saufs sur la rive opposée. Puis elle repris son vol.
Ting-ting secouait ses cheveux mouillés, quand elle entendit une voix qui disait : "Qui m'éclabousse ainsi?" Regardant autour d'elle, elle vit assis sur une feuille un vieillard à barbe blanche.
"Oh, vous voilà Maitre!" Ting-ting se leva immédiatement et le salua. "Votre frère a dit que je n'étais pas une poltronne, mais j'ai toujours peur. Pouvez-vous me dire pourquoi je suis ainsi?"
Le vieillard regarda Ting-ting. "Pourquoi avez-vous toujours peur? dit-il. Parce que vous n'avez pas assez de courage!"
"Mais, ce qu'on appelle courage, qu'est-ce que c'est exactement?" demanda Ting-ting. "Ma foi, dit lentement le vieillard, à vrai dire, je ne le sais pas trop."
"Mais n'êtes-vous pas Monsieur Qui-sait-tout ?" demanda Sourcils rouges. "Oh non! répondit le veillard en riant. Qui-sait-tout est mon jeune frère et Qui-sait-très-peu est mon frère aîné. Je suis Qui-sait-un-peu-de-tout-mais-pas-beaucoup."
"Quel nom a n'en plus finir! s'exclama Ting-ting, je suis désolée. Pouvrez-vous s'il vous plait, vous dire où se trouve votre jeune frère?" "Je ne le sais pas trop, dit le vieillard en secouant la tête. Vous feriez mieux d'aller demander au coq."
Ting-ting et Sourcils rouges marchèrent un moment avant de trouver le coq. Ting-ting s'en aprocha et salua. Mais le coq, les regards perdus au loin, ne fit aucune attention à elle, non plus qu'à Sourcils rouges lorsque celui-ci posa sa question à plusieurs reprises.
Finalement Sourcils rouges se mit en colère et cria : "Etes-vous sourd, mon vieux bonhomme? Pourquoi ne répondez-vous pas quand je vous demande où nous pourrions trouver Monsieur-qui-sait-tout ?"
Le coq tourna la tête et regarda Sourcils rouges : "Commetu es insolent mon petit! Je ne te le dirai pas. Même si je voulais le dire, ce ne serait pas à toi."
Il se tourna alors vers Ting-ting : "Tu es plus polie toi, aussi vais-je te le dire, Qui-sais-tout est monté sur cette haute montagne."
Ting-ting remercia le coq et s'avança avec Sourcils rouges jusqu'au pied de la montagne. D'où ils étaient, ils pouvaient se rendre compte qu'il leur faudrait bien longtemps pour gagner à pied le sommet. Aussi s'efforcèrent-ils d'imaginer quelque autre moyen pour y parvenir.
Un peu plus loin, ils virent un frelon profondément endormi sur une feuille. Sourcils rouges chuchota quelques mots à Ting-ting, et ils s'avancèrent doucement sur la pointe des pieds jusqu'au frelon.
Rapide comme l'éclair, Sourcils rouges saisit une des pattes du frelon, tandis que Ting-ting s'accrochait à une de ses ailes. Réveillé en sursaut, le frelon s'envola brusquement. Mais ils étaient déjà sur son dos.
Le frelon s'éleva dans les airs comme un hélicoptère, de plus en plus haut. Lorsque Ting-ting jeta un coup d'oeil vers la terre qui s'étendait bien loin au-dessous d'eux, elle fut saisie de frayeur. Mais la pensée de trouver monsieur Qui-sait-tout ranima son courage.
Ils atteignirent bientôt le sommet de la montagne et Ting-ting et Sourcils rouges sautèrent à bas du frelon. Regardant autour d'eux, ils se virent environnés d'énormes rochers ; pas une trace d'être vivant.
"Hou!Hou! Monsieur Qui-sait-tout, où êtes-vous?" crièrent-ils. Mais la seule réponse fut l'écho de leurs propres voix. Ting-ting pleurait presque de désappointement.
Un pissenlit qui poussait près de là eut pitié d'eux. "Je sais où il est, fit-il. Mes enfants pourront vous y conduire dès que nous aurons une bonne brise."
Il faut attendre au lendemain matin pour que le vent s'éleva. Alors les enfants du pissenlit levèrent en cercle leurs petits parasols duveteux et dirent à Ting-ting et à Sourcils rouges de s'y asseoir.
Ils s'envolèrent. Tantôt le vent les emportait bien haut dans les airs, tantôt il les poussait à une grande vitesse. Mais Ting-ting au lieu de s'effrayer riait joyeusement.
Comme le vent diminuait, tles jeunes pissenlits se posaient docement sur le sol. A peine furent-ils à terre que Ting-ting et Sourcils rouges virent devant eux un vieillard à la longue barbe blanche.
Le vieillard se mit à rire et les prit tous deux par la main. Sa voix était pareille à une musique et ses mouvements, à une danse. Comme il chantait et dansait, Ting-ting et Sourcils rouges dansèrent avec lui. "Soyez les bienvenus, chuchotait-il. Soyez la bienvenue, brave Ting-ting! Je suis Qui-sait-tout, je savais donc que vous alliez venir."
"Non, non, fit-elle, je m'appelle Ting-ting, masi je suis très timide. Tout le monde le dit. Alors, pourquoi m'appelez-vous "brave"?"
"Dans cet étrange voayge que tu as entrepris, chanta Qui-sais-tout, de tes amis, tu as beaucoup appris. Tant de dangers affrontés avec courage, de Ting-ting la poltronne on fait Ting-ting la brave."
Pendant que le vieillard chantait Sourcils rouges retira prestement le chapeau de Ting-ting.
Aussitôt Ting-ting reprit sa taille normale. Elle se retrouva auprès de l'accacia. Le vieillard avait disparu, mais la fourmi grimpait toujours le long du tronc de l'arbre.
Et vraiment, après cet étrange voyage Ting-ting ne s'effraya plus jamais de quoi que ce soit.