LE CHEVAL BLANC DE SUHO
"LE CHEVAL BLANC DE SUHO" conte populaire Mongol raconté par Yûzô Ôtsuka ; ill. Suekichi Akaba ; trad. Alain Briot Ed. Garnier [197-]
Il était une fois, dans l'immense steppe mongole un jeune berger pauvre qui s'appelait Suho. Suho vivait seul avec sa vieille mère. Il travaillait dur, pas moins qu'une grande personne. Levé tôt le matin, il aidait sa grand' mère à préparer le repas.Puis il emmenait pâtre une vingtaine de moutons dans la vaste, vaste steppe.
Un soir, alors que le soleil se couchait derrière les montagnes à l'horizon et que la nuit obscurcissait rapidement toute la steppe, Suho ne fut pas de retour. Sa grand' mère était bien inquiète, et les bergers du voisinage se demandaient à voix basse ce qui avait bien pu lui arriver. Tandis que tous se rongeaient d'inquiétude, Suho apparut en courant, portant dans ses bras une forme blanche.
Tous accoururent à sa rencontre. Ce que Suho tenait dans ses bras, c'était un petit poulain blanc qui venait juste de naître. Riant de joie, Suho leur raconta ce qui lui était arriver : "J'ai trouvé ce petit poulain sur le chemain du retour! Il se débattait, couché par terre... J'ai eu beau regarder alentour, je n'ai trouvé ni son maître, ni sa mère, et je me suis dit que si je le laissais là, il serait sûrement dévoré par les loups. Alors je l'ai ramené avec moi!"
Une nuit, Suho fut réveillé en sursaut par les hennissements de son petit cheval et les bêlements des moutons. Il se leva d'un bond et courut vers la bergerie. Il aperçut un grand loup qui essayait de franchir l'enclos, tandis que son petit Tchagan Morin, cabré face au loup, protégeait le troupeau.
Suho chassa le loup et accourut auprès de son petit cheval trempé de sueur. Il avait dû se battre bien longtemps seul contre le loup! Caressant son petit cheval en nage, Suho lui parla comme à un frère : "Bravo Tchagan Morin! Merci! Oh merci!"
Les jours et les mois s'écoulèrent. Une année, au printemps, une nouvelle se répandit à travers la steppe : le seigneur des environs organise au bourg une grande course de chevaux et offre la main de sa fille au vainqueur.
Sur le champ de course était rassemblé une foule de concurrents. Le seigneur se tenait majestueusement sur une estrade.
La course commença. Les jeunes et vigoureux cavaliers, venus des contrées les plus reculées, brandirent ensemble leur cravache de cuir.
Les chevaux sélançent. Mais déjà, c'est... Tchagan Morin qui est en tête! Tchagan Morin monté par Suho!
"Le cheval blanc est le premier! Qu'on fasse venir son cavalier!" s'écria le seigneur. Mais quand il le vit, il s'aperçut que ce n'était qu'un pauvre berger. Alors, oubliant sa promesse d'offrir sa fille en mariage au vainqueur, il lui dit : "Tiens! Je te donne trois pièces d'argent et tu me laisses ton cheval! Et maintenant déguerpis!" Suho, en colère, répondit sans réfléchir : "Je suis venu pour faire la course, pas pour vendre mon cheval"
"Quoi! Un misérable berger me tiendrait-il tête? Holà, laquais! Fouettez-le!" Comme le seigneur rugissait de rage, ses laquais foncèrent sur Suho et le frappèrent à coups de poing et à coup de pied jusqu'à ce qu'il perdit connaissance. Le seigneur s'empara de Tchagan Morin et, suivi de sa valetaille, il s'en retourna en bombant le torse.
Suho, secouru par un camarade, fut ramené chez lui.
Le seigneur, qui avait mis la main sur un cheval aussi superbe était d'excellente humeur, et il n'avait de cesse de faire admirer sa nouvelle acquisition à tout le monde. Un jour, il fit venir un grand nombre d'invités de marque et organisa un banquet.
A la fin du banquet, il décida de monter Tchagan Morin pour le montrer à ses hôtes. Les laquais amenèrent Tchagan Morin...
En se relevant le seigneur hurla en gesticulant : "Vite! Rattrapez-le! Si vous ne pouvez pas le rattraper, tirez sur lui!" Les laquais bandèrent leur arc et décochèrent ensemble une volée de flèches. Les flèches volèrent en sifflant et se plantèrent les unes après les autres dans le dos de Tchagan Morin. Malgré tout, Tchagan Morin continua sa course éperdue.
Le soir même, quand Suho s'apprêta à se coucher, il entendit un bruit dehors. "Qui est là?" demanda t-il, mais pour toute réponse, il ne perçut qu'un bruit de galop. Sa grand' mère sortit voir ce qui se passait. Aussitôt, elle s'écria "C'est Tchagan Morin! C'est Tchagan Morin!"
Suho se leva d'un bond. Oui! C'était bien Tchagan Morin. Son corps criblé de flèches était dégoulinant de sang et de sueur. Le jeune cheval blanc, galopant, galopant, galopant sans s'arrêter malgré ses affreuses blessures, était revenu auprès de son cher Suho.
Suho, serrant les dents pour dominer son chagrin, retira une à une les flèches plantées dans le dos de son cheval. Le sang coulait à flot des blessures. "Tchagan Morin! Mon Tchagan Morin! Ne meurs pas!" Mais Tchagan Morin était à bout de force. Son souffle devenait de plus en plus court, et ses yeux perdaient leur éclat. Le lendemain, Tchagan Morin était mort.
De chagrin et de dépit, Suho perdit le sommeil. Une nuit, alors qu'il s'était assoupi de fatigue, il vit Tchagan Morin en rêve. Tandis qu'il le carressait, son cheval se serra contre lui et se mit à parler : "Ne sois pas si triste! Avec mes os, mon cuir, mes tendons et mes crins, tu vas fabriquer un instrument de musique. Ainsi, je serai toujours auprès de toi, et je te consolerai..."
Bientôt, le Morin-tchour qu'avait fabriué Suho se répendit dans toute la steppe mongole. Quand descend le soir, les bergers se rassemblent, et, prêtant l'oreille aux sons mélodieux de sa musique, ils oublient la fatigue de leur rude journée.